Une perle dans un écrin c’est ce qui me vient à l’esprit pour ce premier roman d’Océane Madelaine lauréat du Prix Première.
Je suis un point qui marche, se définit Marie notre héroïne. Elle fuit, elle quitte tout et marche vers le Sud. Chemin faisant, elle s’arrêtera contrainte et forcée et croisera le destin d’une autre Marie vivant au dix-neuvième siècle. Une Marie qui a pris son destin en mains et qui est devenue « potière » de renom. Un métier pourtant bien réservé à l’époque à la gente masculine.
Nous allons avec Marie, faire le point sur sa vie, son histoire, vivre sa colère, ses angoisses, ses peurs, sa douleur mais aussi découvrir la rencontre de la matière et de deux éléments : le feu et l’argile.
Les couleurs sont fort présentes durant ce court et dense roman.
J’ai été séduite d’entrée de jeu par une écriture prenante, je dirais même envoûtante. Les phrases sont simples, puissantes allant à l’essentiel. Une écriture poétique, efficace, imagée qui m’a fait voyager, rêver. J’ai partagé le quotidien des deux Marie avec intensité. Comment la terre et le feu vont pouvoir transmettre l’énergie, la force d’une vie et d’une reconstruction.
Un premier roman bouleversant, un récit magnifique, l’histoire d’une renaissance en symbiose totale avec la nature. J’ai voulu noter chaque page tellement elles sont toutes magnifiques.
C’est d’une beauté rare, un livre court mais dense rempli de poésie comme j’adore.
Vous l’avez compris, gros coup de coeur que je vous conseille chaleureusement.
Les jolies phrases
Je suis en train de marcher, et cela requiert toutes mes forces. Je fais cela comme je n’ai rien fait dans toute ma vie : avec acharnement, intégrité, désespoir.
Que je fasse quelque chose de ma vie comme la rosée fait avec les fleurs, comme le soleil agit sur l’eau, comme l’herbe épouse la courbe des prés, ces sortes d’alliages internes, il faut que je fasse, avec ma vie, quelque chose de la même évidence.
La forêt est un cocon humide où se mélangent les odeurs qu’a révélées la pluie : odeur du bois mouillé, de l’argile boueuse, des feuilles luisantes et gorgées d’eau. Ça sent bon.
C’est un trou, je le sens comme ça. Il y a un trou dans mon pied droit et dedans je suis tombée, tout entière, d’un coup, moi si verticale et si liquide, tombée dans le trou de mon pied devenu gouffre ou grotte, tombée par orgueil, par inadvertance ou par furie, parce que je ne savais pas que de vulgaires cloques pouvaient à ce point attaquer la peau, parce que je ne savais pas qu’on pouvait chuter en soi-même, s’engloutir dans le sang et le pus, parce que je ne savais pas que du point au trou il n’y avait qu’une infime distance, j’avais dit allez ce ne sont pas quelques ampoules qui vont te retenir, allez du nerf, et j’avais continué à boiter en pestant tandis que le trou prenait toute la place du pied.
Ce qu’elle racontait auparavant à voix haute, tout ce qu’elle époumonait dans la forêt est enfoui dans l’argile, comme si la glaise, en s’incrustant jusque dans les lignes de la main, absorbait tout.
C’est comme si Marie Prat disait deux choses à la fois : je me moque et je vous aime. C’est comme si les visages portaient des masques mais que dessous avait lieu une vie intense et troublante, qui surgissait quand même jusqu’à moi. Et ce qui l’emporte, c’est cette tendresse et cette chaleur rieuses qui m’envahissent au fur et à mesure que j’entre dans le monde de la potière. J’ai des sanglots dans la gorge.
Il y a entre nous une sorte de compréhension physique globale, la même qui me relie intuitivement à la forêt, à la clairière, aux arbres, aux pièces de Marie Prat.
Mieux vaut économiser les mots parce qu’ils ne serviraient qu’à nous faire croire à autre chose, à du passé, à du futur.
C’est parfois très simple et parfois très compliqué de devoir se contenter de ce qui est là.
Pour la première fois de ma vie je me dis que cela peut être beau un feu. Puissant comme un soleil, sauvage comme mes cuisses, libre comme un chien fou.
Je dis que je contemple le processus qui a tué le père et a mère, et que je suis désormais capable de regarder cette sauvagerie en face.
Voilà peut-être ce que je dois apprendre d’elle : être là, simplement, de tout mon corps, m’ancrer dans le sol de tout mon poids et finir avec ce passé qui m’esquinte.
La mère disait de lui que son silence pesait à table comme une personne de plus.
J’ai vécu des années durant avec cette peur terrible du feu, mais là je comprends. C’est du désir intégral, pur, violent. Ils ne dompteront jamais ce feu et ils le savent, mais lui, c’est pareil au bout d’un moment. Leurs visages dégoulinant de sueur arborent un sourire mystérieux.
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