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«Un poisson sur la lune» de David Vann
paraîtra le 7 février 2019 aux Editions Gallmeister

David Vann revient sur le suicide de son père (ce drame qui était à l’origine de l’écriture de « Sukkvan Island », en mêlant réalité et fiction pour une réflexion sur ce qui nous fait tenir à la vie.

En voici le début : 

« L’avion amorce sa descente mais San Francisco est invisible, rien que des nuages et de la pluie qui se referment sur l’aile, de la pluie à des centaines de kilomètres/heure, rien qu’une entité horizontale, qui ne tombe pas, qui n’a rien d’assez léger pour tomber. Une pression terrifiante, insistante, paniquée, qui disparaît et réapparaît, provenant d’une source terrible, le souffle d’un dieu en colère.

Jim attend et espère, mais quoi ?

Les turbulences se confondent avec les mouvements de l’avion, semblent naître de l’intérieur, comme si, d’une secousse, l’aile tentait de se débarrasser de quelque chose, mais c’est un infime mouvememnt dans la plus énorme des rivières, un courant irrésistible. La peau va s’arracher, l’aluminium peler et s’enrouler.

Puis les vagues apparaissent en contrebas, les sommets moutonneux, l’écume dans l’eau d’un brun boueux. Tout en lignes fines, ordonnnées, pas les vagues d’un océan mais des vagues soulevées de force par un vent né ici même, des nourrissons de vagues âgés de quelques minutes seulement, atteignant déjà leur taille adulte, déferlantes, projetées à cinq cents mètres du rivage où elles se sont formées. Notre mouvement s’effecture dans une seule et unique direction, il n’y a jamais de retour.

Jim attache sa ceinture en prévision de l’atterrissage mais pourquoi ? Des bouées jaunes, les pierres d’une digue.

La piste apparaît sous eux, encadrée d’herbe, ils touchent le sol, s’élèvent à nouveau un instant de refus qui demeure suspendu et pourrait durer une éternité, mais ils se posent, sont propulsés de tout leur poids, tandis que la poussée du moteur est inversée et que les freins adhèrent à la piste, puis tout est ralenti et tous les motifs de l’air sont brisés, et la pluie tombe à nouveau à la verticale.

C’est son frère qui l’attendra. Doug. Son frère cadet, et désormais son tuteur. Jim, devenu un être fragile.

Un homme en ciré jaune agite des bâtons lumineux afin de diriger l’avion. Personne autour de lui, le tarmac à perte de vue.

Un ultime freinage au niveau de la porte du terminal, et dans cet instant de propulsion, dans ce dernier élan, tous les passagers se lèvent à l’unisson, éjectés de leurs sièges, tous sauf Jim. Il a manqué un signal. Il serait prêt à rester là un peu plus longtemps. Il ne sait pas du tout quoi dire à Doug, et il sait que Doug ne saura pas non plus. Venu escorter son frère aîne jusque chez le psy. Ce dernier les a avertis, Jim ne doit pas rester seul.

Quand tout le monde est parti, il se lève et récupère sa valise dans le compartiment à bagages. En cuir brun, lourde, elle contient un revolver, un Rugger.44 Magnum, le même utilisé par Dirty Harry. Légal à bord de l’avion tant que les cartouches se trouvent dans un bagage en soute. Séparer ses armes et ses munitions. Encore un conseil du thérapeute. »

 
 
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