James Ellroy
Traduit par Jean-Paul Gratias
Rivages
mai 2015
928 p.  10 €
ebook avec DRM 15,99 €
 
 
 

James Ellroy était dans la capitale cette semaine pour assurer la promotion de son nouveau roman « Perfidia », premier volet d’un nouveau “quatuor de Los Angeles”.  Rencontre avec un monstre sacré.

Ce livre est-il votre vision du 7 décembre 1941, jour de l’attaque japonaise de Pearl Harbor ?
Oui, mais c’est un moment d’Histoire considérablement réécrit. Ne me demandez pas quoi, je refuse toujours de distinguer ce qui est réél et ce qui ne l’est pas… Ce livre a sa propre logique, que je ne veux pas déranger.

Vous montrez une Amérique qui redoute une attaque extérieure…
Aucun rapport avec tout ce qui a pu se produire après. Rien à voir avec le 11 septembre, la guerre contre le terrorisme, le Moyen-Orient, l’Etat islamique, l’Iran ou l’Irak… C’est juste le 7 décembre reconstitué par mon imagination. Je n’ai pas d’opinion politique sur la question et je ne veux pas savoir ce qui se passe avant ou après. Interner les Japonais était injuste, mais ce n’était pas non plus l’Holocauste ou le Goulag. C’était mal suivant les standards américains. Et vu les horreurs commises par l’Armée japonaise, on pouvait comprendre que les gens à Los Angeles aient peur. On savait que la guerre allait arriver et là, on y était.

Vous montrez aussi l’effondrement des repères,  des barrières, des règles..
Tout devient opportunité. Un opportunisme que je peux comprendre, même si je n’ai pas l’esprit d’un profiteur de guerre. Alors bien sûr, on redoute une attaque japonaise par air ou par mer, on craint des pillages pendant le couvre-feu… Mais il n’y a pas que cela, on fait aussi la fête, on vit des histoires d’amour, on boit…

Est-ce un moment où le vice l’emporte ?
Le temps de guerre est un moment où ce qu’il y a de mieux et de pire dans le genre humain sont mis en lumière. Par sacrifice ou par bravoure, des hommes risquent la mort pour un idéal démocratique. Mais il y a aussi des politiciens malveillants, des lâches, des isolationnistes, des va-t-en guerre…

Le policier japonais Hideo Ashida est aussi en proie au racisme…
Il n’y avait pas alors de concept de racisme. Les Japonais d’Amérique n’ont jamais eu une mentalité de victimes, ils étaient fiers. Et lui est trop occupé à survivre pour se sentir victime. Il se demande s’il est japonais ou américain, shintoïste ou protestant. Il se demande ce qu’il fait parmi tous ces flics alors qu’il est criminologue diplômé. En plus, il est homosexuel, une honte dans une société régie par le shintoïsme. Heureusement, nous sommes les seuls à lire dans ses pensées… Ce que j’aime chez cette brute de Dudley Smith, c’est qu’il apprécie ce jeune homme et se montre très tolérant avec lui.

Lequel des personnages principaux de « Perfidia » préférez-vous ?
Kay Lake. D’abord parce que c’est une femme. Ensuite, de toutes mes créatures de fiction, elle est la plus brillante, la plus courageuse. Et elle n’a que 21 ans…

Vous introduisez des personnages rééls, que vous ne montrez pas à leur avantage…
Le producteur de cinéma Harry Cohn était un sale type, comme la plupart des magnats de Hollywood. Des salopards qui rendaient des gamins accro à la drogue pour les faire travailler plus dur, qui mettaient Judy Garland sous amphétamines pour qu’elle tourne toute la journée. Quant à Bette Davis, elle était très désagréable. Mais c’était aussi tout à fait le genre de femme capable d’attirer Dudley Smith. Une de mes scènes préférées du livre est celle où elle le traine voir « Citizen Kane »… Il est comme un chien enchaîné. Et moi, je suis du côté de Dudley, je trouve ce film merdique. Il nous est tous arrivé la même chose, le film insupportable avant de passer au lit… « Oh, chéri… » « Ok, allons au ciné ! » Un truc horrible…

Le « Dahlia Noir », auquel mène ce nouveau quatuor, est-il le livre central de votre oeuvre ?
Oui, d’une certaine façon, il marque le début spirituel de ma carrière d’écrivain. J’ai entendu parler de ce crime pour la première fois en 1959, j’avais 11 ans. Mais chronologiquement, le premier crime dont je parle, c’est l’attaque sur Pearl Harbor. J’avais envie d’étirer cette histoire du « Dahlia noir » vers le passé, parce je n’ai rien à faire de l’époque actuelle. Ces onze livres – les deux quatuors de Los Angeles et la trilogie « Underworld USA » – vont raconter ma ville, mon pays, sur 31 ans, de 1941 à 1972.

Pourquoi présentez-vous « Perfidia » comme votre oeuvre la plus ambitieuse ?
Parce qu’il y a beaucoup plus d’intimité, de monologues intérieurs, parce que les personnages sont complexes, se posent beaucoup de questions, prennent des drogues et qu’ils ont tous plusieurs partenaires sexuels… C’est mon livre le plus long. Mais le suivant le sera sans doute plus encore.   

A-t-il des chances d’être adapté un jour pour le cinéma ou la télé ?
Difficile à dire car certains personnages sont déjà apparus dans des films, Dudley Smith dans « LA Confidential », Kay Lake dans le « Dahlia noir », ce qui pose des problèmes de droits. De toute façon ça ne pourrait être qu’une série télé. Je serais prêt à accepter, pour beaucoup d’argent. J’accepterais même de m’impliquer s’ils y mettent le prix.

Cela vous plaît, les tournées de promotion ?
En me réveillant ce matin, j’étais comme une merde, épuisé. Mais je suis ici pour accomplir une tâche : faire vendre des livres à Rivages. Je vends davantage ici qu’aux Etats-Unis. D’autres éditeurs me font des propositions mais je suis chez eux depuis 27 ans et je les adore.

Propos recueillis par Philippe Lemaire
Lire notre chronique de Perfidia

 
 
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