b i e n t Ô t

 « Sauf»
d’Hervé Commère, paraîtra le 8 mars 2018 aux Editions Fleuve noi

 A l’été 1976, les parents du petit Mat sont morts dans l’incendie de leur manoir. Rien n’a survécu aux flammes. Aujourd’hui, Mat est propriétaire d’un dépôt vente. Parmi les dernières acquisitions, il tombe sur un blouson et un album photos… avec des clichés de lui enfant. Sauf que cet album ne devrait plus exister…

 En voici le début :

« J’avais six ans quand c’est arrivé. J’étais en colonie de vacances en Savoie. C’est mon premier souvenir, tout ce qui précède est flou, et se déroule dans un manoir surplombant la mer en Bretagne. C’est là que j’ai grandi, faisant du vélo au bord de la falaise sous l’œil d’une mère américaine et vagabonde, et celui d’un père artiste peintre. J’ignore si ces images sont réelles ou le fruit de mon imagination, je ne le saurai sans doute jamais car voilà où tout commence : lors de cette colonie de vacances dans les Alpes où je vois les gendrames arriver un matin. Ils ne sont pas seuls. Ma tante est avec eux. Elle a une tête que je ne lui connais pas. Tandis que tous les enfants prennent ensemble le petit déjeuner dans le réfectoire de l’école dont les salles de classe sont transformées en dortoirs durant l’été, les gendarmes parlent dehors à la directrice, qui tourne le visage vers l’intérieur. Elle me cherche. Moi, j’adresse de grands gestes du bras à ma tante sans rien comprendre à sa présence ici. Elle me fixe à travers la vitre, pleure sans bouger. On me fait sortir. Au milieu de la cour, ma tante me prend contre elle. Elle sèche ses larmes et me parle, je crie en me débattant, elle me serre et me fait presque mal.

Mes deux parents sont morts dans la nuit du 6 au 7 août 1976. Un incendie a intégralement ravagé le manoir que nous habitions, eux le couple bohême et moi leur petit sauvage. Dans la cour, la sœur de mon père tentait de maîtriser ma hargne et mon effroi. Je hurlais vers le ciel en avalant mes larmes. Il me reste de ma mère quatre photos de nous deux, prises dans un Photmaton de l’époque. Les clichés sont différents, quoique très proches. Je suis sur ses genoux, elle est blonde avec des cheveux longs et raides, elle a un visage anguleux, quelque chose d’animal sur ses traits. Nous avons fait ces photos la veille de mon départ pour Albertville. Nous avons l’air heureux. Avant de les glisser dans ma petite valise, elle avait griffonné « Love U » au dos. De mon père, il ne me reste rien, sinon d’infimes souvenirs et une flagrante ressemblance. Ils étaient jeunes, 30 ans à peine. Les flammes ont tout emporté. On a parlé d’un court-circuit, c’est fréquent dans ces vieilles bâtisses. On a évoqué la canicule de cet été-là, ainsi que la trajectoire de Gilbert Assoul, tueur ayant écumé la Bretagne durant cette période, mais il a toujours nié. On a surtout dit que mes parents goûtaient à diverses drogues et que le drame découlait probablement de là. Le rapport officiel ne privilégie pas cette piste, mais évoque un accident, quelle qu’en soit l’origine. De l’accident en question n’ont subsisté que les murs de pierre. Le reste, la toiture, les fenêtres et les sols, les objets, les toiles de mon père, mes peluches et la vie de mes parents, tout s’est éparpillé parmi les étoiles du Finistère. 

 

 
 
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