« L’invité sans visage » de Tana French paraîtra le 12 avril aux éditions Calmann Levy - onlalu
   
 
 
 

b i e n t Ô t

 

« L’invité sans visage »
de Tana French 
paraîtra le 12 avril 2017 aux éditions Calmann Levy

Tana French est l’une des romancières préférées d’Elizabeth George mais n’a, à mon avis, pas encore la place qu’elle mérite en France. Alors suivez-la ou découvrez-la avec cette enquête qui tente de retrouver l’assassin d’une jolie blonde bien sous tous les rapports. Enfin, croit-on…

En voici le début :

« Ma mère avait pour habitude de me raconter des histoires sur mon père. La première dont je me souviens, c’est qu’il était prince, un prince venu d’Egypte qui voulait l’épouser et rester pour toujours en Irlande, mais forcé par sa famille de rentrer au pays pour se marier avec une princesse d’Arabie. Ma mère s’y connaissait en histoires. Les anneaux d’améthyste qu’il portait à ses longs doigts, leurs pas de danse dans des spirales de lumière, sa peau au parfum exotique d’épices et de pin. Et moi, bras et jambes écartés sous mes draps, en nage – on était en hiver mais le syndic réglait le chauffage de façon uniforme pour tout l’immeuble et les fenêtres des étages supérieurs ne s’ouvraient pas -, j’ai gravé cette histoire au plus profond de ma mémoire. J’étais gamine à l’époque et pendant des années, j’en ai retiré beaucoup de fierté. Jusqu’à l’âge de huit ans, quand je l’ai racontée à ma meilleure amie Lisa qui s’est fichue de moi en riant aux éclats.

Deux mois plus tard, la blessure un peu refermée, j’ai débarqué dans la cuisine et, les poings sur les hanches, j’ai exigé la vérité. Ma mère a répondu par une nouvelle salve de contes de fées à propos d’un étudiant en médecine originaire d’Arabie saoudite. Elle l’avait rencontré alors qu’elle suivait des études d’infirmière. Les détails ne manquaient pas : leurs longues gardes, leurs fous rires dus à la fatique, leurs efforts pour sauver un enfant renversé par une voiture. Quand elle a su qu’elle était enceinte, il était déjà reparti dans son pays sans laisser d’adresse. A ma naissance, elle a abandonné ses études pour s’occuper de moi.

Je me suis accrochée à cette version un bon moment ; je l’aimais bien. Je me faisais des films : la première élève de mon école à devenir médecin, puisque c’était dans mes gènes. Ça a duré jusqu’à j’aie douze ans et ma première retenue. Ma mère m’a passé un savon et interdit de finir comme elle, sans le bac, forcée de faire du ménage pour le salaire minimum jusqu’à la fin de ses jours. Elle m’avait rabâché les oreilles avec ça des milliers de fois, mais je me suis rendu compte à ce moment-là que j’avais besoin de faire des études pour être infirmière.

Pour mon treizième anniversaire, je l’ai affrontée, assise face à elle, de l’autre côté du gâteau, refusant de bouger jusqu’à ce qu’elle me dise enfin la vérité. Après un soupir, elle a déclaré que j’étais assez grande pour savoir qu’il était brésilien, qu’elle était sortie quelques mois avec lui jusqu’à ce qu’un soir, il la tabasse. Quand il s’était endormi, elle lui avait piqué ses clés de voiture pour se réfugier pied au plancher chez elle sur des routes battues par la pluie, ses paupières papillonnant en rythme avec les essuie-glaces. Lorsqu’il avait téléphoné en sanglots pour s’excuser, elle lui aurait presque pardonné – elle avait alors vingt ans -, sauf qu’elle savait déjà qu’elle était enceinte de moi. Elle lui avait raccroché au nez. »

 

 
 
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