Dans le faisceau des vivants
Valerie Zenatti

L'Olivier
oliv. lit.fr
janvier 2019
160 p.  16,50 €
ebook avec DRM 11,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Kaddish pour l’écrivain

Valérie Zenatti est la traductrice d’Aharon Appelfeld, l’un des plus grands écrivains israéliens, auteur notamment d’« Histoire d’une vie ». Sa disparition en janvier 2018 à l’âge de 85 ans plonge son amie et sa presque fille dans le désarroi. Elle qui a traduit onze de ses livres depuis 2004 nous livre un mémorial fait de pensées, de phrases de romans, de transcriptions d’entretiens et du récit d’un dernier voyage. Magnifique et bouleversant.

L’écrivain et sa traductrice

Après la mort d’Aharon Appelfeld, atteinte de tremblements et de visions, Valérie Zenatti voudrait se réfugier dans le silence, « l’expression la plus juste qui soit » selon le mot du défunt, mais sollicitée par les médias, elle se prête à l’exercice, répondant aux questions sur l’auteur, l’homme, le rescapé de la Shoah, racontant l’évidence à vouloir traduire ses romans qu’elle a découverts en tant que simple lectrice. Elle parle aussi avec beaucoup de sensibilité et d’acuité de leur rapport à la langue hébraïque que tous deux ont apprise à l’adolescence, comme une langue adoptive. Valérie Zenatti est née à Nice, Aharon Appelfeld à Czernowitz (alors en Roumanie) en 1932, puis déporté à l’âge de dix ans, il n’est arrivé en Palestine qu’en 1946 après des années d’errance dans les forêts d’Ukraine.

Le dernier voyage

Ils avaient l’habitude de la conversation, travaillaient sur la traduction mais aussi en confrères, Valérie Zenatti étant elle-même auteure. Le meilleur conseil qu’elle ait reçu : « écris, continue d’effleurer les tendons et les nerfs les plus sensibles en toi ». Après la mort d’Aharon Appelfeld, sa parole lui manque ; elle cherche sur Internet des archives où il parle de la langue, des thèmes de ses livres enracinés dans une enfance coupée en deux : une famille bourgeoise cultivée et laïque, puis la vie marginale. Valérie Zenatti creuse encore et toujours le sens de l’œuvre tiraillée entre un retour aux sources et la « tentative profonde de s’[en] éloigner ». Pour saisir cette tension, elle accomplit un voyage à Czernowitz, désormais Tchernivtsi en Ukraine, au contact d’une langue oubliée, à la source de la rivière dont l’eau n’est plus la même. On ne pouvait rêver plus beau tombeau pour Aharon Appelfeld.

 

partagez cette critique
partage par email
 Les internautes l'ont lu
coup de coeur

Quelle splendeur que ce livre !
Voilà, c’est dit, et je souhaiterais presque n’ajouter aucun mot à ceux de Valérie Zenatti. Ils sont tellement beaux, sensibles, sincères, intimes qu’ils m’ont touchée au coeur et je sais que je garderai à jamais inscrite dans ma mémoire la toute dernière partie qui frise le sublime…
Valérie Zenatti est la traductrice du romancier et poète Aharon Appelfeld avec lequel elle a noué au fur et à mesure des traductions et des rencontres un lien extrêmement fort. Lorsqu’elle apprend sa mort le 4 janvier 2018, elle est sidérée, accablée, anéantie : elle perd un proche, un père, un ami, un amour, une âme-sœur, un double même peut-être. La veille de sa mort, le sachant très malade, elle a pris un billet pour Tel-Aviv et le lendemain, tandis qu’elle s’apprête à monter dans l’avion, elle découvre une alerte sur son téléphone portable. Aharon Appelfeld vient de mourir quelques jours avant son 86e anniversaire.
Après les obsèques et le retour en France, Valérie Zenatti ressent une incapacité profonde à se lancer dans une activité quelconque qui lui permettrait d’occuper son esprit. Elle se sent vide, abandonnée, perdue. « Je ne sais pas comment je vais vivre maintenant… je ne sais pas comment vivre sans Aharon. » Elle se replonge alors dans les interviews d’Aharon qu’elle peut trouver sur le net. Elle réentend sa voix, retrouve ses gestes, son regard, ses silences. Elle se perd dans ces images pour tenter de faire revivre ce double perdu et nous entraîne avec elle au plus près de cet homme qui vient de mourir. Elle rêve de lui, réécoute ses messages, compte le nombre de jours qu’il a vécus, se souvient de leurs échanges, des phrases qu’il a prononcées, des mots qu’il lui a glissés à l’oreille. Les personnages des livres qu’elle a traduits lui reviennent en mémoire : elle est eux, elle est lui.
Dépossédée d’elle-même, elle refuse tout d’abord de sortir de cet état comme pour rester avec lui, ne pas l’abandonner. Elle pense avec une profonde tristesse au prochain livre qu’elle traduira sans qu’elle puisse parler avec lui, sans pouvoir échanger sur ses sentiments, ses émotions.
Elle nous raconte l’existence incroyable de cet homme avec lequel elle ne fait qu’un : « Et ma voix s’est élevée pour traduire : Je suis né à Czernowitz en 1932. Et quelque chose en moi murmurait, je suis née à Czernowitz en 1932. » « On me dit que je lui ai donné ma voix en français, mais ce n’est pas tout à fait ma voix, c’est la sienne que je porte en moi et qui existe dans ma voix pour lui, pour le comprendre et le traduire, livre après livre, et pour toutes nos conversations silencieuses. »
Alors un jour, elle prend un avion pour Kiev, puis un train pour Czernowitz en Ukraine (jadis rattaché à la Roumanie) afin de se trouver le jour anniversaire d’Aharon Appelfeld, le 16 février 2018, là où il est né, là où il a vécu enfant, là où il a puisé à jamais les images qui peuplent ses livres. Peut-être le retrouvera-t-elle un peu dans les rues de cette ville et parviendra-t-elle à éprouver une certaine forme d’apaisement. Et si rien ne venait ? Si aucun signe de lui ne se manifestait ? Et si Aharon avait disparu à jamais ? Etait-ce possible ?
Je peux à peine parler de ces dernières pages sublimes sans que les larmes ne me montent aux yeux. Quelle pure beauté, quelle grâce… Quel magnifique texte sur les liens puissants qui peuvent unir un écrivain et sa traductrice.
Un très grand texte et, bien sûr, un hommage hors pair à un homme exceptionnel : Aharon Appelfeld.

LIRE AU LIT le blog

partagez cette critique
partage par email