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JE SUIS NE QUELQUE PART - OU PEUT-ON SE SENTIR CHEZ SOI ?
SCHREIBER DANIEL

autrement
essais et docum
janvier 2019
-1 p.  19,90 €
ebook avec DRM 13,99 €
 
 
 
 Les internautes l'ont lu

Par une très belle journée de printemps, tandis qu’il se promène dans Londres, Daniel Schreiber, journaliste et essayiste, ressent comme un énorme coup de mou, une chape de plomb qui lui tombe dessus et l’anéantit. Tentant d’analyser l’origine de son mal, il a l’intuition qu’à quarante ans, ce qui lui manque, c’est un lieu où se poser, où vivre, où être heureux. « …c’était un sentiment d’ancrage et de sécurité qui semblait me faire défaut. La nostalgie qui donnait le ton à cette crise était celle d’un port d’attache, d’un enracinement. »
Installé à Berlin depuis quelques années et ayant vécu à New York avec un ami puis à Londres, il reste pourtant bien persuadé qu’il demeurera, comme beaucoup de gens à notre époque, une espèce de citoyen du monde, sans réel port d’attache, vivant loin de son lieu de naissance, pour lui un village du Mecklembourg en ex-RDA.
Mais ne fait-il pas erreur ? Autrement dit, peut-on vivre sans jamais s’installer vraiment ?
Il lui faut donc chercher d’où viennent ce sentiment de manque et cette nécessité absolue et quasi existentielle qu’il ressent dorénavant de s’enraciner quelque part.
Daniel Schreiber va donc, d’une certaine façon, mener une enquête pour comprendre d’abord ce qui nous constitue : il constate tout d’abord que le passé vit en nous longtemps, bien plus longtemps qu’on ne l’imagine et cela, sans que nous en ayons vraiment conscience.
Par ailleurs, il nous faut porter ce qu’ont vécu nos parents, grands-parents et arrière-grands-parents, ce dont nous avons été témoins, ce qui nous a été dit ou tu.
Précisons que la famille de l’auteur a vécu au XIXe siècle en Volhynie (nord-ouest de l’Ukraine actuelle), région rattachée anciennement à la Russie. A la fin du XIXe, plus de deux cent mille colons allemands s’y installent. En 1921, cette région devient polonaise et en 1939, elle passe sous contrôle soviétique… Ainsi, la famille de Daniel Schreiber, et notamment son arrière-grand-mère qui, pour des raisons politiques, a dû fuir plusieurs fois son lieu d’attache, s’est toujours sentie « réfugiée », « exilée » là où elle se trouvait. Les sentiments de paix et de sécurité lui sont donc restés inconnus.
L’auteur a-t-il inconsciemment « hérité » de ce manque ? N’est-il pas involontairement en train de revivre ce sentiment d’être étranger au lieu où il vit comme autrefois ses aïeux ? L’histoire familiale explique-t-elle son malaise, le génère-t-elle ? Est-il « porteur » des traumatismes de ceux qui l’ont précédé ? Ou bien lui faut-t-il chercher encore ailleurs, creuser une autre piste ?
Ce qui est certain, c’est qu’il ne se sent pas chez lui à Berlin, ville qu’il n’a de cesse de fuir. S’il s’est cru pendant longtemps capable de s’installer n’importe où, c’est le contraire qui s’impose soudain comme une évidence. À Berlin, il a le sentiment que sa vraie vie n’est pas là. Il ne vit à Berlin qu’une « existence provisoire » : plus tard et surtout ailleurs, il sera un autre homme, différent, nouveau, heureux.
Et s’il se trompait, et s’il perdait son temps dans cette attente vaine, dans ce leurre d’un bonheur à venir ? Et si la « solution » du problème se trouvait dans des traumatismes de l’enfance que l’auteur devra exhumer ?… Encore une autre piste à explorer…
J’ai trouvé cet essai de Daniel Schreiber vraiment passionnant : on le lit quasiment comme un roman, porté par l’enquête qu’il mène pour comprendre son malaise profond et son incapacité à s’installer durablement et à être heureux à Berlin.
Chacun se sentira concerné par les réflexions de l’auteur sur ce qui constitue notre identité, la question de l’héritage, familial et historique. Cet essai s’intéresse aussi au rapport que l’on a au lieu où l’on vit (pays/ville/maison), à notre plus ou moins grande capacité à y trouver le bonheur (aux conditions nécessaires pour y parvenir) et à la notion de sécurité dont nous avons besoin pour vivre… pour ne citer que quelques problématiques abordées par l’auteur. Finalement, il nous propose différentes pistes qu’il nous laisse explorer librement pour comprendre notre rapport au monde et le lien qui existe entre ce monde et notre géographie intérieure.
Les citations sont nombreuses, les références aussi… Et l’auteur, en partant de son expérience intime, nous amène à réfléchir et à nous interroger sur des notions que l’époque actuelle tend à banaliser alors qu’elles sont essentielles à notre bonheur.
Indispensable !

En lisant cet essai, j’ai pensé à deux textes que j’ai lus récemment et qui m’ont beaucoup touchée : Les Enténébrés de Sarah Chiche, roman dans lequel l’auteure s’interroge sur la notion d’hérédité, « la malédiction familiale », et sur ce que l’Histoire fait de nous. Ne sommes-nous pas, dans le fond, la somme de choses qui nous dépassent et dont on ne nous a pas nécessairement parlé ?
Dans le faisceau des vivants : Valérie Zenatti évoque là, de façon extrêmement touchante, l’infinie tristesse qui s’est emparée d’elle lorsqu’elle a appris la mort d’Aharon Appelfeld, écrivain israélien qui avait dû quitter enfant sa ville natale de Czernowitz (ville roumaine puis ukrainienne) sans jamais pouvoir y retourner. Ses rêves furent toute sa vie peuplés de neige et de bouleaux au tronc blanc…

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