La Légèreté
Catherine Meurisse

Dargaud

136 p.  19,99 €
ebook avec DRM 9,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Bulles de vie

C’est drôle, parfois, la rencontre avec une BD. Un titre qui fait penser à Kundera (voulu), des tons pastels délavés, une silhouette de dos, qui avance vers un horizon se diluant dans un ciel couvert, et un bandeau « Aimer, rire, dessiner. Renaître après Charlie ».

Etonnant ce sentiment, souvent diffus, que « Charlie » est une histoire qui appartient à chacun d’entre nous. Que ses morts, ses survivants, son esprit et même le déroulé du massacre du 7 janvier 2015 sont un peu les nôtres. Une illusion qui n’en est pas totalement une, réactivée par les attentats de novembre dernier, puisqu’une part de nous s’est éteinte ce jour-là. Ce sentiment -trompeur- d’impunité n’est cependant rien au regard de ce qu’ont traversé les dessinateurs de « Charlie » qui ont survécu. Abîmés, amochés, en reconstruction, sous protection, observés à la loupe grossissante des médias pour quelques-uns… Ce que dessine Catherine, arrivée tardivement à la conférence de rédaction de ce matin-là, est un journal de mémoire intime, de guérison en cours, de rires et de larmes. Réservez la lecture de la préface de Philippe Lançon pour plus tard, si vous le pouvez. Et entrez dans la bulle. Un lit, une femme trentenaire qui se repasse en boucle une histoire d’amour-adultère, ironique et tendre -« Non, mon amour, je préfère une vie humble et modeste à la passion »-, phrase déclinée en quelques bulles drôles -« mais, si je quitte ma femme, qui va l’aimer ? »-… Catherine raconte son état d’esprit ce matin-là, le pourquoi de son absence à la rédaction lorsque les frères Kalachnikov y ont déboulé. Rappel de cette période, de l’impossibilité à retrouver une vie normale après. Quête de sens, de souvenirs, de mémoire qui s’est dissoute dans le choc traumatique, sourires ici, effondrements là, les planches se succèdent, couleur, noires et blanches, bribes du passé, quelques (rares) strips déjà publiés dans « Charlie-Hebdo »… Tout vous embarque dans ce voyage d’une blessure profonde. De celles qui semblent ne jamais vouloir se refermer totalement. « Moi, ce qui m’a soudain paru le plus précieux, après le 7 janvier, c’est l’amitié et la culture. -Moi, c’est la beauté. -C’est pareil », ces bulles de dialogue en 4e de couverture prendront tout leur sens après ce voyage aux côtés de Catherine Meurisse. Chercher Stendhal comme remède cathartique, Proust pour combattre la dissociation psychique, initier le commando des « mains invisibles de l’Art » pour une opération revanche avec Sigolène (autre rescapée de « Charlie ») et Hélène, fille du dessinateur Honoré… Tout essayer pour se reconstruire. Réapprendre de nouveau la colère, ressentir d’autres joies, se ressourcer, marcher près de l’océan, s’interroger sur l’amour à nouveau, rien n’est facile. Comment continuer d’avancer avec ses absents ? C’est la réponse, émouvante autant que drôle, que Catherine dessine dans ces pages.

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coup de coeur

Survivre…

Comment se relever et marcher quand on a été anéanti, écrasé par la douleur ? Comment refaire surface lorsque tout ce que l’on entend et tout ce que l’on voit nous rappelle l’innommable, l’impensable ? Catherine Meurisse, dessinatrice de presse à Charlie Hebdo, ce 7 janvier 2015 au matin, pense dans son lit, chagrin d’amour oblige… Je t’aime mais je ne peux pas vivre avec toi… ni sans toi… Que faire ?… Pas de solution, alors, se lever et aller bosser. Courir après le bus qu’on vient de rater. Penser que le soir même, on fêtera l’anniversaire de Luz. Ça met un peu de baume au cœur. Evidemment, Catherine arrive en retard au journal… Juste le temps de se cacher dans les bureaux voisins. L’horreur a déjà commencé…
Puis, un blanc, l’impossibilité de se servir du langage, de se souvenir. Effroi de la mémoire qui fuit, sidération de l’imaginaire anéanti. Impression de ne pas être, de ne plus être. Il faut pourtant reprendre, trouver des idées, dessiner. Mais le cerveau est saturé et vide à la fois. Le bouclage du numéro dit « des survivants » a lieu tout de même malgré l’état de choc. Puis plus rien. Catherine perd la mémoire. Il faut trouver des solutions. Un séjour à Cabourg pour cette passionnée de Proust, son « auxiliaire de vie » devrait permettre d’y voir plus clair, de retrouver sensations et émotions. Rien ne vient. Par contre les cauchemars emplissent les nuits. Peut-être faut-il marcher sur les chemins de campagne autour de la maison familiale. Retrouver la paix au contact de la nature afin de rassembler les morceaux de soi-même et savoir qui l’on est. « Vous êtes dissociée », diagnostiquera le psy, « votre cerveau a disjoncté et provoqué une anesthésie émotionnelle, sensorielle et mémorielle ». Retenter quelque chose : quitter Paris pour une île, se couper du monde (est-ce possible à notre époque ?), marcher longtemps, contempler la nature, aller au théâtre… Il faut trouver une solution, relever la tête… Stendhal en 1817 est à Florence. Il vient de visiter l’Eglise Santa Croce. Soudain, il est pris de vertiges, les battements de son cœur s’accélèrent : la beauté de l’art en est la cause… C’est ce que l’on a appelé « le syndrome de Stendhal ». Catherine veut « être submergée par la beauté ». Il faut essayer, tenter un choc esthétique, se sauver… Elle part alors à Rome, Villa Médicis…
C’est avec humour et gravité que la dessinatrice raconte son effondrement et sa renaissance, sa lutte de tous les instants pour ne pas sombrer. On retrouve dans cette magnifique BD, au graphisme original, l’esprit « Charlie », preuve que Catherine a retrouvé un chemin et une certaine légèreté pour aller de l’avant plus sereinement. Confier à la peinture, à la littérature, à la musique la difficile mission de rendre supportable la laideur du monde : il faut y croire, l’art est là pour permettre à ceux qui souffrent de retrouver leur mémoire, leur imagination et leurs mots pour vivre. C’est ce que disent les paroles de Nietzsche citées en exergue : « Nous avons l’art pour ne pas mourir de la vérité » La Beauté, l’Art comme bouée de sauvetage maintenant les hommes à la surface afin qu’ils flottent avec légèreté et refusent de se laisser couler… Magnifique…

Retrouvez luci-lilas sur son blog 

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