Moi, assassin
Antonio Altarriba et Keko

Denoël
Denoël graphic
septembre 2014
136 p.  19,90 €
ebook avec DRM 13,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

« Bloody album »

D’abord il y a le choc visuel. Un album tout en aplats noir et blanc aux contrastes tranchants où seule la couleur rouge sang gicle sur les pages, au rythme des crimes commis au scalpel par le héros de ce roman graphique profondément noir.  Sensations et émotions esthétiques garanties grâce au talentueux dessinateur Keko (José Antonio Godoy Cazorla) qui intègre avec élégance dans ses cases d’encre et de lumières, les toiles superbes, mais terrifiantes de Goya, Ensor, Grünewald, Delvaux, Munch, Dix, Bacon…

Et puis, il y a le scénario virtuose et macabre imaginé par l’espagnol Antonio Altarriba. Après la biographie graphique consacrée à son père qui s’est suicidé, « L’art de voler », ce romancier, essayiste et professeur de littérature française à l’Université du Pays Basque nous met dans les pas, non pas d’un tueur en série – car aucun de ses crimes ne se ressemble-,   mais d’un tueur-arty  pour qui « Tuer n’est pas un crime. Tuer est un art ».

Enrique Rodriguez Ramirez est professeur à l’Université du Pays Basque (comme l’auteur) et reconnu internationalement pour ses travaux de recherche sur l’Art et la Cruauté. Par ailleurs, il dirige la revue Trémula dédiée à la représentation de la douleur dans la peinture occidentale.  Voilà pour sa part de lumière, toute relative. Mais côté sombre, c’est un assassin qui tue pour la simple beauté du geste. Il est maître en la matière, avec pas moins de 34 victimes au compteur, sans jamais avoir été pris, ni même avoir été soupçonné. Alors qu’entre meurtres, conférences à l’étranger et conquêtes féminines, sa vie est en apparence équilibrée, le destin de ce démon moderne va en décider autrement. Cristina sa femme qu’il délaisse, le quitte. Les rivalités et conflits s’intensifient à l’université, les subventions pour sa revue sont remises en question, et un crime atroce lui est injustement attribué. Il est temps pour Enrique d’accomplir son premier assassinat rédempteur qui sera une performance artistique de haut vol à faire pâlir Marina Abramovi? : un « puzzle murder » inspiré de la série de gravures de Goya « Les désastres de la guerre ».

 « La cruauté, loin d’être un vice, est le premier sentiment qu’imprime en nous la nature », nous rappelle le marquis de Sade. Et Altarriba de s’interroger sur la valorisation de la transgression et de la cruauté dans l’art alors qu’elle est réprouvée dans la vie réelle. Sans être moralisateur, il dénonce même certaines dérives de l’art contemporain dont quelques pseudo-artistes font des performances qui frisent l’imposture voire le ridicule. « Moi, assassin », conte cruel sur la violence de nos sociétés, vient d’être couronné  du Grand prix de l’Association des critiques et journalistes de BD. Âmes sensibles, s’abstenir. Mais pour les autres,  plongez-y, c’est atrocement beau. 

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