Aimer l'amour, l'écrire
Antoine Compagnon

l'iconoclaste
octobre 2016
255 p.  39 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Aimer l’amour, l’écrire

« L’amour ne voit pas avec les yeux mais avec l’âme » a écrit Shakespeare. On ne peut trouver meilleure introduction à « Aimer l’amour, l’écrire » que cette citation du grand Will car feuilleter cet ouvrage c’est comme effleurer l’âme des génies, ceux des lettres françaises du 19e siècle, à travers une sélection de leurs plus beaux textes d’amour. Ces trésors précieusement conservés sommeillaient entre les murs du département des manuscrits de la Bibliothèque Nationale de France. C’est à Antoine Compagnon, historien de la littérature et professeur au collège de France, qu’est revenu le rôle de magicien qui nous révèle et nous présente ce que nos auteurs ont écrit de plus magnifique sur l’art d’aimer. Entouré d’ Alexandre de Vitry, docteur en littérature française, et de Guillaume Fau, conservateur en chef et directeur du service des manuscrits modernes et contemporains à la BNF, il s’est plongé dans le cœur battant de ces écrits pour en faire remonter toute la sève et la fièvre. Le résultat est là, somptueux.

De Victor Hugo à Annie Ernaux

Les mots n’ont pas « la même couleur en passant une frontière » estimait Paul Morand et c’est en véritable cartographe du tendre qu’Antoine Compagnon nous emmène d’un pays à l’autre sur les rives de l’amour pour nous fait découvrir l’infinie palette des sentiments. De l’écrasant Victor Hugo à l’intime Annie Ernaux on découvre la fidélité de Juliette Drouet ; la souffrance amoureuse de Proust; l’érotisme macabre de Bataille ; la provocation de Céline pour qui « l’amour c’est l’infini à la portée des caniches » ; le pessimisme de Flaubert ; les calligrammes poétiques d’Apollinaire ; la fraîcheur vivace et juvénile de Radiguet ; la brûlante passion sensuelle de Colette; l’onirisme de Breton ; le romantisme d’Eluard ; les amours ambigües de Gide ; la mystique de Jouve ; la fusion amoureuse de Char; le vaudeville Sartre-Beauvoir autour des « amours contingentes ». Et bien d’autres encore. Autant de voix sublimes qui expriment dans ce livre toutes les nuances des amours, qu’ils soient imaginaires ou vécus, éphémères ou durables, heureux ou malheureux.

Les dessous des manuscrits

Autre réussite, la qualité de reproduction des manuscrits et la présentation de leur histoire : comment et dans quel contexte ils ont été élaborés, la façon dont ils sont parvenus jusqu’à nous. Nous découvrons émerveillés la manière dont ils ont été travaillés par leurs auteurs, corrigés, augmentés avec leurs ratures, biffures et rajouts. C’est tout le processus de la genèse d’une œuvre qui nous est ainsi dévoilé. On ressort d’autant plus éblouis devant ces calligraphies qu’elles expriment par la finesse ou l’épaisseur d’un seul trait toute la physionomie de la pensée de leurs auteurs. À une époque où la vitesse du clavier a remplacé les pleins et déliés de la plume, on se retrouve à travers ce livre, délicieusement plongé en ces temps anciens où l’on savait prendre le temps sans avoir le sentiment de le perdre. Le temps d’aimer tout simplement et de le dire. Aimer l’amour, le lire.

partagez cette critique
partage par email