La Captive de Mitterrand
David Le Bailly

Le Livre de Poche
mars 2014
336 p.  7,10 €
ebook avec DRM 7,49 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Femme de l’ombre ou héroïne de roman ?

Qui est Anne Pingeot, silhouette fine, le visage entièrement dissimulé sous une voilette, entr’aperçue aux funérailles de François Mitterrand, aux côtés de leur fille, Mazarine ? Pendant 35 ans, elle partagea de manière clandestine la vie de l’ancien chef de l’Etat.

Mu par cette interrogation « qu’avait cette femme de si extraordinaire pour que Mitterrand n’ait jamais pu renoncer à elle ? » David Le Bailly cherche à percer le mystère de celle qui ne veut, n’a jamais voulu d’une existence sous les projecteurs, a toujours fui les caméras, les journalistes, ne cesse de se dérober.
Lorsque le journaliste lui fait part de son intention d’écrire un ouvrage sur elle, l’ancienne conservatrice du Louvre et d’Orsay lui ordonne de mettre fin immédiatement à ses investigations, allant jusqu’à le menacer de poursuites judiciaires. En un instant, le personnage de femme douce et effacée vole en éclats. A l’évidence, Mme Pingeot n’est pas celle que l’on croit.
Jeune fille de « bonne famille » à l’intelligence affutée, à la soif de savoir, elle est plus transgressive que son apparence sage et son extraction sociale ne le laissent supposer.
A 20 ans, elle s’éprend d’un ami de son père, de 27 ans son aîné, marié, nanti de deux fils et qui se rêve un destin national. L’idylle prend une tournure plus profonde, s’inscrit dans la durée. Pourtant, jamais François Mitterand n’officialisera cette histoire d’amour même après la naissance de leur fille.
De Clermont-Ferrand où elle passe son enfance, à Paris où elle poursuit ses études puis vivra, à Gordes où elle partage avec son amant des moments d’intimité familiale, l’auteur retrace le parcours de « la captive », à laquelle il prête les traits d’une héroïne romanesque.
Femme de l’ombre, réduite au silence par les circonstances et peut-être par tempérament, Madame Pingeot ne dédaigne pourtant pas imprimer son pouvoir. Son influence en matière de politique culturelle pendant les deux septennats est incontestable. On lui doit la poursuite des travaux du musée d’Orsay, le réaménagement du Louvre, la construction de la pyramide et très certainement le choix de l’architecte Ieoh Ming Pei.
Mi enquête-mi essai biographique, « La captive » dessine aussi en creux le portrait complexe de l’ancien président, ne faisant pas l’impasse sur le second septennat qui mit à mal « la statue du commandeur que le chef de l’Etat voulait laisser derrière lui. »
En refermant cet ouvrage, impossible de ne pas se demander si pareille histoire aurait pu se dérouler de nos jours. Probablement pas car la sorte de « gentlemen agreement » liant presse et pouvoir a explosé. Peut-être aussi parce que les compagnes des chefs d’Etat actuels ne résistent pas à l’attrait de la lumière. 

partagez cette critique
partage par email
 Les internautes l'ont lu

Eclairages sur une femme de l’ombre

Une enquête qui se lit comme un roman, mais il faut dire que tous les ingrédients sont là et ont suffisamment intrigué David Le Bailly, journaliste, habitué à enquêter pour qu’il se jette à l’eau. Bientôt obsédé par ce projet surtout lorsqu’il se heurte aux murs de silence érigés autour de cette femme dont il s’attache à percer le mystère. Cette femme, c’est Anne Pingeot, dont le grand public a découvert officiellement l’existence peu de temps avant la mort de Mitterrand, alors Président de la République. Habituée à l’ombre au point de ne pas apparaître dans la lumière même des années après.

Le journaliste s’interroge, cherche à comprendre les motivations d’Anne Pingeot aux différents âges et étapes de sa vie, cherche à deviner son état d’esprit, à éclairer son caractère. Et au delà, à dévoiler ce qu’il présente comme « la face cachée » de Mitterrand et qu’il pense être en droit de connaître et de révéler puisqu’il était un homme public, aux plus hautes responsabilités de l’état. Au fil de l’enquête se révèle un personnage plus complexe qu’il n’y paraît dont l’évolution au fil du temps est intéressante. Jeune fille issue d’une bourgeoisie de province catholique et bien pensante mais au comportement un peu trouble pendant la guerre et les années qui l’ont précédée. Attirée par le monde du savoir et de la connaissance et donc par l’homme brillant qu’est François Mitterrand. Et lui, l’homme à femmes, qu’est ce qui l’attire chez cette jeune fille mal dégrossie et pas encore jolie ? Le journaliste émet l’hypothèse que c’est son milieu, ses valeurs qui rassurent le futur Président, lui qui a dû laisser tout ceci derrière lui pour poursuivre sa carrière politique. En tout cas, la jeune femme, bien décidée à faire partie de ce monde, « monte à Paris » pour étudier l’art et devient conservateur de musée.

Ce qui intrigue David Le Bailly et irrigue son récit c’est le mélange d’oie blanche et de caractère affirmé qui transparaît chez Anne Pingeot. Les bribes de détails qu’il obtient en interrogeant tous ceux qu’elle a côtoyés et qui veulent bien lui répondre sont soit contradictoires, soit remis en question par d’autres témoignages. Difficile alors de se faire sa propre opinion. Il dépeint son environnement comme une prison dorée (à partir du moment où Mitterrand est élu Président, elle est obligée de quitter son appartement pour une résidence mieux surveillée) et n’oublie pas de montrer toutes les contraintes imposées par sa situation sur sa vie, du soupçon de piston et de favoritisme dans sa vie professionnelle à la jalousie vis à vis du couple public formé par Danièle et François Mitterrand. Et le secret, tout le temps. Cette façon de passer totalement inaperçue. Pour le journaliste, c’est ce qui est trompeur. On pourrait la croire fade et effacée, il n’en croit rien. Pour lui, on n’accepte pas une telle vie sans une volonté farouche et un sacré caractère. D’ailleurs, quelle est sa véritable influence ? Quelle part a t-elle pris dans les grands travaux initiés sous la présidence de Mitterrand ?

Finalement, les mystères ne sont pas vraiment levés. Comment le faire d’ailleurs sans le témoignage de la principale intéressée. Reste le portrait d’une femme endurcie par les circonstances mais fidèle au choix fait à vingt ans d’aimer et d’accompagner François Mitterrand. Et qui, malgré tout, et certainement au prix d’âpres négociations, a construit sa vie sur tous les plans. Pour le reste, pas sûr qu’elle décide un jour de raconter la face cachée de Mitterrand.

Un livre intéressant et très agréable à lire, à mille lieux d’un quelconque voyeurisme. A la fin, on sent une petite pointe d’admiration chez l’auteur comme si le mystère qui demeure, le silence qui perdure étaient la preuve de la supériorité de l’adversaire… et qu’il fallait bien s’incliner devant plus fort que soi.

Retrouvez Nicole G sur son blog 

partagez cette critique
partage par email