Le vent dans les roseaux
Wendell Pierce

EDITIONS DU SOUS-SOL
octobre 2016
336 p.  22,50 €
ebook avec DRM 15,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Tempête sur la Nouvelle Orleans

Godot et Katrina

Une vie. Une ville. Une communauté. C’est dans la désolation de La Nouvelle-Orléans post Katrina que débute « Le vent dans les roseaux ». Wendell Pierce, inoubliable flic de Baltimore dans la série « The Wire », y livre un récit autobiographique hybride souvent lyrique et toujours nostalgique à trois niveaux de lecture. Le comédien raconte d’abord ce qu’il voit en novembre 2007, « un océan de nuit », alors qu’il s’apprête à monter sur scène pour offrir une représentation de « En attendant Godot » pour les survivants dans le Lower Ninth Ward. Un quartier historiquement afro-américain dévasté par Katrina le 29 août 2005. Les rues défilent sous ses yeux, méconnaissables. Pourtant ceux qui ont survécu n’ont de cesse de revenir. Sans doute car la ville a fait d’eux ce qu’ils sont devenus. Comme Wendell Pierce qui le répète comme un mantra dans son livre.
Il raconte ensuite l’histoire des siens en puisant évidemment dans ses souvenirs et dans les souvenirs de ses parents. Il y a de la madeleine de Proust dans son obsession à décrire un monde terrible, le sud raciste où la ségrégation a succédé à l’esclavage, comme un monde où la communauté noire, en proie à la violence, trouvait une forme d’harmonie grâce à sa foi inébranlable. Il regarde en arrière avec ses yeux d’enfant forcément naïf et brosse un tableau à la gloire de ses ancêtres et des Noirs du sud qui ont courbé l’échine dignement. On est loin de pages sombres de « La couleur pourpre » d’Alice Walker récompensé par le prix Pulitzer en 1982.

Une biographie de la Nouvelle Orléans

C’est lorsqu’il fait la biographie de La Nouvelle-Orléans qu’il redevient passionnant. Il raconte les métamorphoses successives de la ville au fil des époques. Passionnantes surtout les pages consacrées à son métier de comédien. L’apprentissage à la prestigieuse Juilliard school. Son rendez-vous manqué avec Bob Fosse. Son travail avec le dramaturge August Wilson. Et puis la rencontre avec David Simon, le créateur de « The Wire ». « Il allait tenter de créer un roman visuel, dont l’arc narratif serait beaucoup plus long que celui des fictions télévisées habituelles, et l’intrigue beaucoup plus complexe. Simon avait le sentiment que le public était assez intelligent pour suivre jusqu’au bout. » résume Wendell Pierce. Il invite le lecteur dans les coulisses d’un tournage forcément émouvant pour les fans d’une série si importante qu’elle a même été étudiée à Harvard dans le cadre d’un cours sur les inégalités urbaines.
« Le vent dans les roseaux » s’achève là où il a commencé à La Nouvelle-Orléans. Pierce raconte ce qu’il a vécu le jour de Katrina. « Nous avons fait partie des plus chanceux. Nous avions nos voitures, un endroit où aller. On estime à cent mille le nombre d’habitants de La Nouvelle-Orléans qui sont restés sur place, la plupart trop pauvres pour acheter un véhicule, ou trop malades, trop vieux, ou encore incapables de se déplacer par eux-mêmes. » Ces lignes glaçantes tiennent du reportage.
Enfin, Wendell Pierce revient sur « Treme » la seconde série qu’il a tournée avec David Simon, considérée comme la lettre d’amour du créateur à La Nouvelle-Orléans. Ses personnages tentent de s’y reconstruire après l’ouragan. « Au sein même de la ville, la série Treme est devenue une sorte de thérapie de groupe, dans une communauté qui se battait pour redevenir elle-même après la dévastation de Katrina. » raconte encore Pierce. De la même manière, sans doute, que « Le vent dans les roseaux » lui a permis de se reconstruire lui.

partagez cette critique
partage par email