Richie
Raphaëlle Bacqué

Le Livre de Poche
avril 2015
256 p.  7,20 €
ebook avec DRM 6,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Richie: bien plus qu’une biographie

Il était si proche de ses étudiants qu’ils l’avaient surnommé Richie. Richard Descoings a dirigé, bouleversé même, Sciences Po en une quinzaine d’années, terminant tristement sa vie en avril 2012 à New York, terrassé par une crise cardiaque après une nuit vraisemblablement agitée.

C’est le parcours hors des sentiers battus d’un homme en constant mouvement que nous raconte la journaliste du Monde, Raphaelle Bacqué, dans une biographie très bien documentée.
On suit la trajectoire de cet ancien élève de Sciences Po, puis de l’ENA. Il est si discret que ses condisciples seront surpris de le voir sortir en tête de promotion, ce qui signe un étudiant intelligent, travailleur et ambitieux et lui ouvre la porte du Conseil d’Etat, une planque de luxe. On découvre également un homme double, lisse et effacé le jour, et homosexuel assumé le soir, aimant la fête et les nuits tumultueuses. Très vite confronté au Sida qui commence ses ravages, Richard va participer à la création de Aides. En conflit sur la stratégie à mener pour développer l’association, il la quittera sans coup férir, écrivant dans une lettre à Frédéric Edelmann pour justifier son départ, « je n’aime ni échouer, ni décevoir », ce qui sonne comme une devise.

Un peu désœuvré, il se propose comme chargé de cours de droit public à Sciences Po. Il débute en 1987 et grâce à Alain Lancelot, le directeur de l’époque, sa carrière va connaître une accélération foudroyante. Deux ans plus tard il est nommé directeur adjoint de l’école, puis en devient en 1996, à moins de 40 ans, le directeur.
C’est alors qu’il donne sa pleine mesure. Il va transformer cette institution, certes prestigieuse, mais franco-française et amidonnée dans ses habitudes, en une grande école internationale, multipliant les partenariats avec les universités étrangères, diversifiant les cursus, recrutant les meilleurs enseignants. Et surtout il va l’ouvrir aux élèves les plus doués des lycées de ZEP en les dispensant du concours d’entrée jugé inapproprié pour les évaluer. Stupeur et tremblement parmi les étudiants et les bien-pensants de la République qui s’insurgent qu’au nom de l’égalité il y ait deux poids et deux mesures pour entrer rue Saint Guillaume. Descoings tiendra bon.

C’est étrange de voir ce consensus se former autour de cet étonnant directeur pour le soutenir, voire le couvrir, car son bilan comporte aussi une part d’ombre. Le budget de l’école dérape, il se fait payer des primes hors normes, impose comme adjointe sa femme –ayant longtemps partagé sa vie avec Guillaume Pépy, rencontré au Conseil d’Etat, Richard Descoings s’est marié avec Nadia Marik-, personne ne moufte. Et quand il arrive le matin, marqué par des nuits trop alcoolisées, ou lorsqu’il entretient des relations parfois ambiguës avec certains étudiants, on regarde ailleurs…

Il devait en avoir du charisme ce Richie, pour être soutenu autant par la droite- il faillit devenir ministre de Sarkozy- que par la gauche et par ces grands noms du gotha intellectuel et financier, qui sont membres du conseil d’administration de la Fondation des Sciences politiques. Car enfin l’universitaire Jean-Paul Casanova, le banquier Michel Pébereau, ou Louis Schweitzer, l’ancien patron de Renault, ne sont pas des joyeux drilles dilettantes et insouciants. Ils ne l’ont jamais lâché.
Et c’est en cela que ce livre est passionnant. Parce que s’y dessine en creux l’image d’une France ouverte à toutes les différences, moderne et vivante. Une France certes consciente de ses limites et de ses blocages, mais capable de bousculer les lignes pour se réformer et penser l’avenir.

partagez cette critique
partage par email