Scènes de ma vie
Franz Michael Felder

Traduit de l'allemand par Olivier le Lay
Editions Verdier
février 2014
310 p.  22 €
 
 
 
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coup de coeur

De l’élévation par les livres.

Scènes de ma vie, signé par un inconnu, est paru pour la première fois à titre posthume en 1904 après être passé de main en main. Son auteur, Franz Michael Felder, né en 1839 et mort en 1869 est un paysan progressiste élevé dans la société de son temps grâce à l’éducation. Il entreprend d’écrire son autobiographie un an avant sa mort prématurée, en se fixant pour but de raconter sa vie de façon chronologique, sans rien retrancher, jusqu’au mariage heureux avec sa femme, Nanni, à laquelle il souhaite rendre hommage.

Dès les premières lignes, Felder évoque sa naissance sous les auspices de la ruralité, qui s’inscrit dans le cycle des travaux et des jours. Sa faible constitution laisse craindre un temps pour sa vie, et très tôt il perd un œil à la suite d’une opération malencontreuse. Son enfance est rude, malgré l’amour de ses parents et de sa marraine ; il subit à cause de sa fragilité et de ses bons résultats scolaires les quolibets de ses camarades, se contente souvent de jouer seul, de sculpter de ses mains jamais inoccupées de petits objets en bois. Il apprend aussi la broderie et vend ses créations pour améliorer l’ordinaire.
Il se passionne très tôt pour les histoires racontées lors des veillées joyeuses et animées, et sa grande soif d’apprendre le contraint à la débrouillardise pour contourner les prescriptions de l’Eglise et de l’Ecole en matière de culture, institutions se bornant à apprendre aux enfants de paysans les rudiments qui les maintiennent dans un état d’asservissement séculaire… Chez les Felder, il n’y a d’ailleurs pas de livres, et lorsque L’Almanach fait son entrée dans la maison, c’est un éblouissement pour l’enfant qui le compulse jusqu’à en savoir des passages par cœur ; viendront ensuite les journaux, quelques ouvrages prêtés par le médecin, le vétérinaire, jusqu’à ce qu’il possède lui-même ses propres livres. Felder est un autodidacte, et décrit avec flamme son amour pour la littérature, source d’ouverture et d’indépendance.
Il n’en néglige pas pour autant les travaux de la ferme. Son père mort, il reprend le domaine et fait passer ses devoirs avant les plaisirs de l’esprit, qui n’en n’ont que plus de saveur. Sa curiosité n’est jamais découragée, et abat les obstacles qui se dressent entre lui et le savoir : la pauvreté, les travaux agricoles épuisants, les responsabilités, les médisances. Franz Michael tend toujours vers davantage de liberté et s’affranchit des préjugés et des superstitions. Son récit donne vie aux saisons qui se succèdent : aux travaux d’hiver, puis à l’estive, ce grand moment où son âme s’élève à mesure qu’il monte avec ses vaches aux pâturages d’été, lorsque les journées sont longues et que les glaciers brillent au milieu des forêts.

Ce livre est une ode à la vie, à l’amour pour son pays ; les descriptions de la région du Vorarlberg et de ses habitants sont saisissantes de vérité et de beauté. Felder peint avec nuances les rudesses de la vie paysanne et la douceur de l’amour, il n’est jamais misérabiliste, et son optimisme lui fait tirer parti de tout échec. Si son récit est sans cesse réédité depuis plus d’un siècle, c’est que sa littérarité et son humanisme nous émeuvent encore, et que l’on s’attache sans peine à ce héros sensible, forgé par son pays et par ses rêves.

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