Sulak
Philippe Jaenada

Points
août 2013
504 p.  8,30 €
ebook avec DRM 9,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Le braqueur magnifique

Qui se souvient de Bruno Sulak ? Ce beau garçon d’une intelligence peu commune a été au début des années 80 l’homme le plus recherché de France. Tout juste jeune adulte, il a écumé supermarchés puis bijouteries jusqu’aux grandes enseignes de la rue de la Paix, organisant de spectaculaires braquages selon un mode opératoire minutieux, efficace et sans bavures -Bruno Sulak n’a jamais eu de sang sur les mains. Il est mort à 29 ans lors d’une tentative d’évasion, en tombant d’une fenêtre de Fleury-Mérogis.

Braqueur légendaire, roi de l’évasion, les formules ne manquent pas mais semblent insuffisantes pour définir une personnalité aussi complexe. Le romancier Philippe Jaenada a pourtant décidé de retracer la courte vie de Bruno Sulak et la biographie qu’il signe se dévore comme un roman d’aventures. Patiemment, interrogeant les témoins, les amis, la famille, épluchant les journaux de l’époque, Jaenada, fasciné, a cherché des indices dans les origines familiales, un grand-père venu d’un petit village polonais et un père légionnaire, puis dans l’enfance et l’adolescence à Marseille, il a reconstruit la cavale et l’ultime arrestation du hors-la-loi, il a également dressé le portrait de ses proches : Thalie, l’amour de sa vie, Drago, l’ami de toujours. Mais au fil de ce canevas minutieux où le romancier s’est fait archiviste, reste toujours une question : à quoi tient la vie d’un homme ?

On est vite emporté par ce récit toujours rigoureusement proche des faits et construit comme un puzzle. Il y a l’enfance, dans une famille modeste mais unie et stable. Le refus, très jeune, de l’autorité. La petite délinquance puis l’entrée dans la légion dont il déserte et le premier braquage. Philippe Jaenada reconstitue pièce à pièce la ligne de cette vie qui sans cesse  bifurque, se brise et repart. Il colle à son personnage, nous fait partager les moments d’angoisse et de tension, la panique de celui qui se sait recherché, mais aussi les jours d’euphorie, lorsque le braqueur réussit un beau coup et possède assez d’argent pour vivre tranquillement quelques temps. Le romancier s’interdit toute envolée lyrique mais aussi toute hypothèse personnelle, se refusant à laisser libre cours à son imagination. Hasards, mauvais sort et mauvais coups, tout est étudié comme un enchaînement implacable et de fait fatal, jusqu’à la dernière nuit où Jaenada met en concurrence, sans trancher, deux versions des faits : la version officielle, qui veut que Bruno Sulak soit tombé d’une fenêtre en tentant de s’évader, et celle de proches qui pensent qu’on l’a poussé.

Pari réussi donc pour un romancier qui jusqu’alors avait publié des textes au ton loufoque et tendre d’inspiration largement autobiographique. On retrouve pourtant dans ce livre le style très particulier de Philippe Jaenada, notamment son sens de l’humour et de la digression. De petits instantanés de la France des années soixante-dix et quatre-vingt – la dernière radio de la chanteuse du groupe « Il était une fois » –  émaillent son récit, tout comme des détails de sa vie à lui, soudain signalés en passant, lorsque sa propre trajectoire croise par hasard celle de Bruno Sulak, les coïncidences s’accumulent et l’auteur semble parfois pris de vertige. Car tout se tient et pourtant rien ne tient en ce monde, Sulak et Jaenada auraient pu se croiser, échanger leurs vies, mais la vie justement n’est pas la littérature : Sulak reste pour toujours un emblématique mystère et Jaenada un vrai romancier.

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coup de coeur

Quand les gangsters agissaient avec classe…

Dans l’absolu, la vie de Sulak m’importe peu. Mais je pourrais lire à peu près n’importe quoi qui soit signé Philippe Jaenada. L’homme, expert en parenthèses (et en parenthèses dans les parenthèses), docteur ès digressions, instille de lui dans le récit (illustrant par exemple par le récit du match de basket par lequel son fils est passé de poltron à (presque) champion cette leçon de Sulak, « Le seul moyen de vaincre la peur, c’est d’agir », page 77) et embarque le lecteur dans son aventure sur les traces de Bruno Sulak, surnommé « le légionnaire », bien connu des services de police, Bruno Sulak dont on dit qu’il a horreur de la violence mais qu’il adore les bijoux.

Au début des années 80, Sulak est l’homme le plus recherché de France. Son destin contrarié de militaire et de sportif le fait basculer dans la délinquance. Braquages de supermarchés, vols à main armée, puis casses de bijouteries… ses faits d’armes (cambriolages comme évasions, car Bruno Sulak passera plusieurs fois par la case prison) démontrent son imagination, qu’il met au service du premier de ses principes : ne tuer ni blesser personne. Dans son arme, des balles à blanc. Le gentleman braqueur respectera sans faillir le code d’honneur, y compris lors de ses incarcérations.

Philippe Jaenada donne à aimer l’homme en même temps qu’il donne à le connaître. Car si ses actes sont répréhensibles, les valeurs qui sont celles de Bruno Sulak sont nobles.
Le récit contient, comme toujours chez Jaenada, son lot d’humour et de cynisme. Il est plein d’une forme de tendresse de la part d’un auteur tout acquis à la cause de son personnage.
Jaenada a ce don de savoir faire de toute vie un grand, un inoubliable roman. Et Sulak est aussi le roman d’une époque où les gangsters agissaient avec classe et intégrité ; où on pouvait les admirer, voire les aimer.

Retrouvez Sophie Adriansen sur son blog

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