Young Perez, Champion : De Tunis à Auschwitz, son histoire
André Nahum

TELEMAQUE
novembre 2013
176 p.
 
 
 
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coup de coeur

Une passionnante leçon de vie et de sagesse

Il faut lire ce livre, passionnant, d’André Nahum, même si l’on ne veut rien savoir de la boxe.
Il est en effet saisissant à plusieurs égards : culturel, historique, et biographique.

Culturel tout d’abord, car son auteur sait d’emblée nous plonger dans un monde foisonnant de sons, de senteurs et de couleurs. Dès les premiers chapitres, nous pénétrons dans le monde juif tunisien. Nous humons la nourriture qui cuit dans la cuisine de la mère de Victor Younki – futur champion -, et nous y reconnaissons la toute puissance, et l’amour absolu pour ses enfants, de la mère de famille ; nous nous promenons dans les rues du quartier où vit la famille du héros ; nous faisons connaissance de tous ces personnages colorés et pittoresques qui exercent de petits métiers pour nourrir des familles très nombreuses, et très pieuses. Nous découvrons les différents quartiers, où vivent des communautés qui ne se mélangent pas vraiment, et la fierté de ce jeune sportif qui fait coudre une étoile de David sur sa culotte de combat – triste prémonition de la suite de l’Histoire.

Nous comprenons bien la fierté qu’éprouve toute cette communauté, à travers ce qu’en dit la mère du héros, lorsqu’il décide de se faire appeler Young Perez : « On n’est pas américains ! Avant on s’appelait comme des Juifs, après il fallait s’appeler comme des Français, même votre père se fait appeler René, et maintenant on devient américain ? Vous allez me rendre folle ! »

Pourtant, ce n’est pas facile d’être juif en Tunisie après la guerre de 14, dans laquelle les Juifs tunisiens n’ont pas pu s’engager, n’étant pas français, mais bien tunisiens… À cause de cela, ils seront même les victimes d’un véritable pogrom.
On devine aussi que les relations entre les communautés n’y sont pas souvent fluides… Et à l’intérieur même d’un groupe, il y a les riches… et les autres, qui n’ont que leurs poings pour s’en sortir.
L’Histoire commence à marquer notre héros. L’Histoire, dont on devine qu’elle va le rattraper, et le broyer.

Tout le talent de l’auteur consiste à nous faire ressentir l’ascension fulgurante de ce jeune boxeur si talentueux et fougueux. Victor / Young Perez est repéré par un avocat féru de sport, au joli surnom de Moustache d’or ; il est entraîné par l’exigeant Joe Guez, et bientôt il devient un vrai champion, admiré de tous et aimé d’une jolie jeune fille. On le voit danser sur le ring, et on aime cela, grâce au don du conteur.
Le roman de sa vie est parfait, et la trajectoire du héros semble tracée, impeccable.

Sauf que la réalité sera plus rude que ce rêve-là. On en devine la fin, on la connaît, mais on se laisse prendre par le récit de la vie de Young Peres, emporté par la gloire et la tourmente. À Paris, Young Perez est débordé par son succès. Devenu en 1931 le plus jeune champion du monde des poids mouche de l’histoire de la boxe, l’argent lui monte à la tête, il ne sait plus distinguer les amis des profiteurs, et, pire que tout, il perd ses repères culturels. Il lui a fallu cinq minutes pour passer de l’ombre à la lumière, mais cette lumière-là, qui l’éblouit, va aussi l’étourdir. Il donne tout, avec générosité – parfois à tort. Il se retrouve sans rien. Même l’amour, qu’il pensait avoir gagné, lui échappera : la belle Française un temps séduite (l’actrice Mireille Balin) le quittera pour Tino Rossi, et bien d’autres, une fois son héros déchu – de par sa faute à elle !

Le boxeur se rend à Berlin, pour un combat qu’il perdra. Il y arrive le lendemain de la Kristallnacht – Nuit de cristal – qui a entamé l’horreur de la persécution. Il est choqué, battu et humilié en combat, mais ne prend pas la pleine mesure du danger. Comme tant d’autres.
Plus tard, dans un Paris envahi par les nazis, Young Perez, qui n’est plus que l’ombre d’un champion, qui n’a pas su écouter les amis avisés qui l’imploraient de rejoindre la Tunisie, se trouve pris dans la nasse étanche de l’ennemi, sans aucun espoir d’évasion. Pire, un (une ?) traitre y a contribué.
Alexandre Dumas avait beaucoup inspiré le jeune sportif, grâce à la lecture que lui faisait son père du Comte de Monte-Cristo. Young Perez s’imaginait que, à l’instar de ce héros, il se sortirait de toutes les geôles. Cela ne devait pas être.

C’est là une histoire triste, émouvante, mais également édifiante, que nous raconte André Nahum. Young Perez a accompagné sa vie. Son livre, magnifiquement documenté, est l’un de ces ouvrages précieux qui, sans en avoir l’air, nous donne, en plus de tout ce qui précède, une belle leçon de sagesse, et de vie.

Retrouvez Cathie Fidler sur son blog

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