Jane Austen
Fiona Stafford

traduit de l'anglais par Olivier Lebleu
Tallandier
août 2019
224 p.  19,90 €
ebook avec DRM 13,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Ses livres étaient ses enfants

Dans l’abbaye de Winchester, comté du Hampshire, le visiteur sera peut-être surpris de croiser, inscrit en lettres noires sur fond doré, le nom de Jane Austen, désignée par les plus grands critiques du XIXème siècle de « Shakespeare de la prose », icône des lettres anglaises dont l’œuvre inspire aujourd’hui encore auteurs, cinéastes et lecteurs. Si l’épitaphe loue « la bienveillance de son cœur, la douceur de son tempérament, les dons exceptionnels de son esprit », aucun allusion n’est pourtant faite à son œuvre d’écrivaine. 

   Née en 1775 et morte dans sa quarante-et-unième année, Jane Austen connaîtra de son vivant les bribes d’une renommée à venir, après avoir dédié son existence à la littérature à une époque où la fiction littéraire est « tenue pour frivole et même franchement dangereuse », où les écrivaines préfèrent adopter des patronymes masculins pour espérer voir leur œuvre publiée. Jane Austen ne fera pas ce choix. Encouragée par une famille lettrée qui reconnaît très tôt son talent, la jeune femme n’a pas trente ans quand Susan est accepté par l’éditeur Crosby&Co, qui n’ira pas, en dépit d’un contrat signé et de dix livres sterling versées, jusqu’à la publication du roman. « En tant que femme célibataire approchant de son trentième anniversaire au début du XIXème siècle, Jane Austen commence à concevoir, venu de toutes parts, le sentiment d’être indésirable. » Qu’à cela ne tienne : la jeune auteure poursuit son travail d’écriture et fait publier en octobre 1811 par l’éditeur londonien Thomas Egerton Raison et Sentiments, dont le succès critique est immédiat, jusqu’à la cour où la princesse Charlotte reconnaît compter parmi les admiratrices du  roman. 

   La critique n’a cependant pas toujours été laudative, reprochant aux romans de Jane Austen une certaine frivolité en décalage avec l’embrasement que connaissent à l’époque les sociétés européennes. Comme Fiona Stafford le rappelle, « la vie de Jane Austen a commencé dans l’une des périodes les plus turbulentes de l’histoire du monde – elle avait six mois quand la guerre d’indépendance américaine éclata, treize ans à la prise de la Bastille ; les conflits entre l’Angleterre et la France persistèrent presque sans interruption tout au long de sa vie d’adulte, et elle est morte moins de deux ans après la bataille de Waterloo », un contexte troublé que le lecteur devine entre les lignes de ses récits, mais qui n’en constituent jamais le cœur, l’écrivaine préférant écrire sur ce qu’elle connaît. 

Pendant trente-quatre de ses quarante-et-une années d’existence, Jane Austen réside dans le comté du Hampshire, d’abord dans le presbytère de Steventon avant de suivre sa famille à Bath, qu’elle quittera à la mort de son père pour emménager à Chawton, à quelques kilomètres de Steventon. Ainsi, quand Catherine Morland avoue à M. Tilney que « tous les jours à la campagne se ressemblent », dans Northanger Abbey, faut-il deviner la voix de Jane derrière ses paroles, et ne pas s’étonner de la teneur de sa correspondance, traitant essentiellement d’écriture, de bals, de robes de soirée et de quelques figures masculines, amis de longue date ou prétendants déçus. Fine observatrice de la gentry locale et de ses affres amoureux, Jane Austen a toujours préféré le célibat à un mariage sans amour et considérait ses romans comme son unique progéniture. L’amour peut-être, mais « à condition de ne pas oublier qui l’on est », comme l’écrit Laura El Makki dans sa belle préface à l’ouvrage. 

En choisissant de s’appuyer sur l’œuvre pour éclairer une existence qui demeure à bien des égards insaisissable, Fiona Stafford pose un regard juste et rigoureux sur le destin d’une écrivaine sujette aux interprétations, aux adaptations plus ou moins heureuses, dont le mérite est néanmoins de témoigner de l’aura d’une romancière fauchée par la maladie avant d’avoir atteint sa maturité artistique. « Chaque génération se crée ainsi sa propre représentation de Jane Austen qui existe à jamais dans ses propres livres. »

 

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