Jim Morrison et le diable boîteux
Michel Embareck

Archipel
août 2016
192 p.  17 €
ebook avec DRM 11,99 €
 
 
 
 Les internautes l'ont lu
coup de coeur

« Entre la vérité et le mensonge existe une zone libre appelée roman »

Période 1968-1971. Jim Morrison adule Gene Vincent (le diable boiteux du titre). Il veut faire un film documentaire sur ce dernier. Au-delà d’une certaine idée de la musique, ces deux stars partagent une même idée de l’alcool, des filles et de la vie en règle générale. Mon Dieu, que dire de ce livre… en dehors de choses dithyrambiques ? Au risque de faire passer ce billet pour un billet de complaisance ? Tant pis. Un petit mot d’abord sur la structure narrative du livre : la majeure partie du récit se concentre sur les quatre années couvertes par l’histoire. De 1968, Michel Embareck parle du concert d’Elvis donné en forme de revival qui donne le la d’un retour à la nostalgie comme moteur de la musique produite aux Etats-Unis. De 1969, il en fait le marqueur de la fin d’un rêve marqué par les crimes de la bande à Manson : c’est la lente descente aux enfers de l’héritage de Woodstock définitivement enterré à Altamont au cours du concert des Rolling Stones dont la sécurité était assurée par des Hells Angels et où un spectateur a trouvé la mort. De 1970, il note la petite mort musicale et psychologique de ses deux protagonistes, emportés par des retours avortés, des espoirs envolés, des promesses inachevées. Enfin, de 1971, il ne fait rien parce qu’il s’agit de l’année de la mort de Gene Vincent et de Jim Morrison. Le tour de force de Michel Embareck (en dehors du fait d’avoir mis en incipit une phrase de son héros récurrent de polars et que je cite en titre de ce billet !) est de donner l’impression au lecteur d’être avec ses personnages tout au long d’un récit qui, s’il est chronologique, n’en est pas pour autant linéaire. Michel Embareck a eu la présence d’esprit d’intercaler un personnage pas si secondaire que cela : le Midnight Rambler, un fondu de musique dont la carrière s’est « résumée » à tenir l’antenne d’une radio de minuit à six heures du matin, toutes les nuits, pour parler musique et diffuser les nouveautés. Sa carrière et son talent lui ont permis d’accumuler nombre d’anecdotes et une connaissance de ce milieu encyclopédique. Datées de 2015-2016, ces interludes contemporains donnent le sens du vent, la direction que doit prendre le récit des années 1968-1971. Michel Embareck distille également au fur et à mesure de son récit quelques réflexions sur la musique, sur les liens indéniables entre musique et histoire, sur les ruptures à la fin de chaque cycle musical, l’afflux soudain et le regain de nostalgie d’une période marquant systématiquement la fin d’un cycle et l’arrivée d’un nouveau. L’aspect vivant du récit de Michel Embareck fait qu’on ne sait jamais si on est dans la fiction ou dans la réalité : on a envie de croire à tout ce qu’il raconte, invention ou pas, fantasme ou pas. On a envie que tout se soit déroulé tel que cela nous est raconté. Et tant pis pour la vérité historique ! Et pourtant on y croise tellement de noms ultra-connus qui ont fait l’imaginaire d’un quarantenaire comme moi, trop petit à l’époque pour connaître tout cela. C’est peut-être pour cela que cela sonne si vrai : parce que je n’ai pas connu cette période, parce que je n’en connais que certains héritages musicaux. J’ose quand même croire qu’un connaisseur prendrait autant de plaisirs que moi, différents peut-être, parce qu’il chercherait à déceler le vrai du faux, à dénicher les élucubrations de l’auteur autant qu’a se rappeler sa propre jeunesse. Et on retombe donc sur la nostalgie… d’ailleurs, celle-ci est-elle celle de Michel Embareck ou celle de toute une génération ? Et tout semble couler de soi-même, tout est fluide dans le récit de Michel Embareck et on suit ce road movie fatal avec une délectation non feinte, un plaisir jamais démenti au cours de ces 215 pages menées tambour battant, sans repos. Mais après tout, ni Morrison ni Vincent ne prenaient le temps de faire de pauses dans leur course folle vers la mort, il est logique que le lecteur ne bénéficie d’aucun répit. Un petit mot aussi sur ce qui ne m’a pas échappé au moment de la lecture mais au moment où je rédigeais ce billet : Michel Embareck propose une analyse personnelle de ce qui a conduit à la disparition pratiquement simultanée de Gene Vincent et de Jim Morrison et le rapport qu’ils ont eu à leur propre légende, à leur propre mythe. Ces eux personnages haut en couleur ont littéralement subi leur caractère légendaire de leur existence même dans la chanson, l’un n’ayant pratiquement été l’homme que d’une chanson et l’autre ayant toujours regretté de n’être qu’un scribouillard poussant la chansonnette et de ne pas être un musicien à part entière dans le groupe des Doors. Je terminerai ce billet en décernant à Michel Embareck deux prix : ceux des pages 100-101 et 178. Je vous les livre telles qu’en elles mêmes… magiques : Pages 100-101 Auprès de lui, Yoko Ono se dandine telle une morve souriante, tape mécaniquement dans ses mains – pas forcément en rythme –, puis se lance dans des glougloutements de dindon neurasthénique. Gene et Jim se dévisagent, estomaqués par l’insupportable larsen vocal. Un murmure d’incompréhension parcourt le public jusqu’alors enthousiaste. Un silence accablé accompagne les premières minutes de l’interminable chanson suivante, sorte de psalmodie sioux, comme si Yoko jouissait en avalant un ukulélé désaccordé. Ou accouchait. Quelques huées montent des gradins, une ou deux canettes voltigent mais la plupart des spectateurs demeurent interdits, à se creuser la tête à la recherche d’un lien entre le rock and roll et cet hululement névralgique. Page 178 – Tu vas te marrer, bro’, t’à’l’heure j’ai feuilleté un journal d’ici, Rock&Folk. D’vine un peu qui qu’est en couverture ? – Toi ? – Meuh non, Lennon et sa bridée de Toronto. – Celle qui quand elle chante on dirait qu’elle a avalé une cornemuse, un banjo et la pédale de distorsion avec ?

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