Lettre à celle qui lit mes romances érotiques et qui devrait arrêter tout de suite
Camille Emmanuelle

Les Echappés
lettre a
février 2017
128 p.  13,90 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Cul-cul la praline

C’est un livre aussi malin que son titre. On s’attend à lire un texte érotique, mais pas du tout…

Camille Emmanuelle a écrit, pour des raisons alimentaires avouées, une douzaine de « romances érotiques », type Harlequin mais en plus hard. Ce que l’on appelle du « mumy porn » et dont le modèle absolu reste les fameux « 50 Nuance de Grey ». Du sentiment et du sexe pour faire transpirer dans les chaumières et distraire du repassage et de son mari bedonnant la ménagère de plus ou moins 50 ans .

L’auteur raconte avec une bonne dose d’humour, à Manon une lectrice imaginaire, comment on fabrique ces livres qui ont beaucoup plus à voir avec le marketing qu’avec la littérature.

L’intrigue obéit toujours à la même grille et les héros sont des archétypes : une femme jeune et sans histoire particulière, qui attend son prince charmant ; un homme beau, viril et milliardaire. Pas riche, milliardaire, sinon ça ne marche pas. Il a forcément une faille secrète, qui va un temps mettre leur relation en péril, mais youpi tout se terminera bien.

Ce qui est marquant dans le récit de Camille Emmanuelle, c’est de constater à quel point ces histoires sont formatés. L’érotisme est clean. Non seulement les pratiques relatées sont « érotiquement correctes », mais mêmes les fantasmes sont aseptisés. Dès que l’on introduit (sic) des éléments un rien hors norme (échangisme, bisexualité et autres pratiques abondamment diffusées sur internet), hop ! l’éditeur intervient pour rectifier le tir (si l’on peut dire).

Le style est bien sûr à l’avenant. Il faut  absolument expliciter tous les sentiments à coup de formules lourdingues telles que «  me répliqua-t-il avec un sourire en coin » ou «  repris-je le regard embué par l’émotion » et l’inévitable « me répondit-il avec un air sensuel ». Camille Emmanuelle s’amuse à insérer ces formules dans un extrait de « La Princesse de Clèves » : le résultat est hilarant.

Le côté culcul la praline de ces ouvrages ne serait pas dérangeant s’il ne renforçait pas tous les stéréotypes de l’érotisme féminin. Les lectrices – car c’est clairement aux femmes que ces livres sont destinés- viennent chercher du rêve et des fantasmes. Elles se retrouvent dans  des jeux de rôle érotiques  « hétéro normés » où les personnages sont des caricatures et dans lesquels le désir féminin est finalement maltraité, dépouillé d’originalité, de spontanéité et de toute liberté.
Camille Emmanuelle rapporte une anecdote qui parle d’elle-même. Une fois, elle a inventé un héros qui, pour se faire bien voir de son futur beau-père, lui offre un manuscrit de Colette, son auteur préféré. Mais ça ne va pas. L’éditrice proteste vigoureusement : pas Colette. Pourquoi ? lui demande l’auteur. Parce que Colette était bisexuelle. Trop subversif !

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