Tokyo Vice
Jake Adelstein

Points
octobre 2017
512 p.  8,40 €
 
 
 
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coup de coeur nuit blanche

« Une fascinante plongée dans les bas-fonds de la société japonaise ». Voilà ce que nous promet « Le Monde ». J’ajouterai : « Un Américain au pays des yakuzas ».
Quatrième de couverture plus que prometteuse pour « Tokyo Vice » où le titre donne à penser à une lecture surprenante de l’écrivain Jake Adelstein, un journaliste américain, (un gaijin), le premier occidental à travailler pour le quotidien japonais « Yomiuri Shinbun ».

Le livre commence ainsi :
« Vous supprimez cet article, ou c’est vous qu’on supprimera. Et peut-être votre famille aussi. Mais on s’occupera de vous en premier, pour que vous appreniez quelque chose avant de mourir ».
(…) Ce n’est jamais une bonne idée de se trouver du mauvais côté du Yamaguchi-gumi, la plus grande organisation criminelle du Japon. Avec ses 40 000 membres environ, ça fait un paquet de mecs à qui on les brise ». (page 11)
Jake décide d’écrire cet article malgré cet ordre pas vraiment réjouissant et sa réponse est que c’est son boulot car il tient un très bon sujet en or avec une histoire de trafics d’organes et de greffes multiples mais ce n’est pas sans danger car les personnages incriminés sont très haut-placés au Japon.
Il va donc passer dix ans en immersion dans les bas-fonds japonais et ce journaliste d’investigation nous donne son point de vue, ses découvertes sur la pègre, nous dévoile la traite d’êtres humains, des assassinats, la corruption, la prostitution… tout y passe.
Mais il doit faire attention de ne pas tomber dans les erreurs de ceux qui débutent au Japon.

Son histoire est simple. Ses reportages le font remarquer. Il nous raconte un Japon méconnu avec des anecdotes et des portraits de personnages dont certains sont attachants, mais d’autres repoussants.
Le portrait des yakuzas, ces hommes – ces gangsters aux neuf doigts et hyper tatoués – nous en apprend beaucoup sur la mafia japonaise.
Son travail l’entraîne autant à coopérer avec la police qu’avec ces yakuzas. C’est une plongée fascinante dans ce monde pour lequel on ne connaît surtout que de belles images mais ici, c’est du côté noir dont il est question.
Il pense s’intégrer plus facilement en apprenant les arts martiaux mais ce n’est pas suffisant.
Sa vie est menacée ainsi que celle de sa famille….

Le style de l’auteur est tout simple et il nous démontre combien l’honneur et la tradition, qui étaient importants pour les yakuzas, sont passés après le profit et de sordides trafics ainsi qu’une prostitution incroyable.
Mais il arrive à garder un certain humour au milieu d’un Tokyo pourri jusqu’à la moelle.

Je m’attendais à une lecture captivante, elle l’a été ; mais grande a été ma surprise de découvrir autant de laideur, de personnages plus pervers et cyniques les uns que les autres.
On se demande aussi comment va s’en sortir Jake qui a laissé femme et enfants dans son pays et pour lesquels la mafia japonaise a émis des menaces de mort. Mais Jake tient bon et nous décrit comme personne des scoops insensés sur cette immense corporation criminelle, peut-être l’une des plus grandes au monde. Il reconnait d’ailleurs avoir vécu dans la peur jusqu’à la parution de son livre.

On apprend également que la plupart des Japonais ont peur de ces yakuzas, mais il en est qui les admirent en les considérant comme un mal nécessaire ?!? Pourquoi ? Parce que pour eux c’est un peu comme un mythe.
A ceux-là, je dis : « Mais lisez donc ce livre ». Ou alors ont-ils peur eux aussi et font-ils semblant de ne pas croire à toutes ces horreurs ou de se voiler la face ?
On voit aussi que parmi ces yakuzas se trouve la grande famille de Yamagucho-gumi et qu’il y a eu une séparation avec les Kobe Yamaguchi-gumi.

Un livre très passionnant et « Le Monde des Livres » a écrit ceci : « Tokyo Vice rejoint d’autres ouvrages majeurs de la littérature du réel parmi lesquels Baltimore ou Gomorra ».

A signaler qu’à la fin du livre, dans sa « Note sur la protection des sources », Jake Adelstein a précisé : « L »une des difficultés que j’ai affrontées en rédigeant ce livre, c’est de réussir à l’écrire sans mettre en danger mes informateurs ni porter préjudice aux personnes mentionnées. Au Japon, un officier de police qui confie une info à un journaliste peut se retrouver au tribunal, et cela peut parfaitement lui coûter son travail » (page 481).

On ne peut donc que saluer le courage de l’écrivain et le féliciter pour toutes ces révélations, aussi sombres soient-elles, puisqu’elles ne sont que le reflet de la triste vérité d’un pays que l’on préférait voir sous un autre angle, plus beau, plus exotique, ce « Pays du Soleil Levant ».

Une remarque aussi sur la couverture du livre des Éditions Marchialy dont l’illustration représente une gravure d’art de leur graphiste, Guillaume Guilpart. C’est vraiment agréable et particulier.

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