Virginia
Emmanuelle Favier

Albin Michel
août 2019
304 p.  19,90 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Virginia avant Woolf

Nouvelles biographies, témoignages inédits, lettres retrouvées, écrits intimes exhumés, l’auteure de « Mrs Dalloway » semble un sujet inépuisable. Or, pour Emmanuelle Favier, il ne s’agit pas d’ajouter une énième biographie, mais d’écrire le roman de la naissance d’une vocation, de faire le récit subjectif de la jeunesse de Virginia avant qu’elle ne devienne Woolf.

Née à Londres en 1882 dans une famille recomposée de deux veufs et de leurs huit enfants, Virginia Stephen voit se pencher sur son berceau d’illustres figures littéraires, Tennyson du côté maternel ou Thackeray du côté paternel. Pourtant, entre un père austère, président de la London Library, et une mère accaparée par ses œuvres de charité, Virginia vit une enfance solitaire dans le sombre manoir de Kensington, corsetée dans une époque victorienne ingrate pour les femmes. Au sein de cette famille nombreuse, elle a du mal à se distinguer, souffre d’un manque d’attention et se sent impuissante face aux monstres qui rôdent : demi-frères incestueux, angoisses nocturnes, anorexie. Seuls les livres constituent une barrière contre cette fragilité ; Ginia (c’est son surnom) est passionnée de lecture. Elle écrit aussi, rédige avec sa sœur une gazette familiale, tient un journal intime, sans compter ses relations épistolaires essentiellement féminines. A l’adolescence vient le temps des morts, d’abord sa mère, qui laisse un vide abyssal et un mari abattu, puis sa demi-sœur Stella, et en 1904, son père inconsolé. Le lendemain de sa mort, Virginia adhère à la London Library avant de s’effondrer sous le poids d’un épisode dépressif qui lui vaut un court internement. Enfin, comme délivrée d’un interdit freudien, elle envoie sous pseudonyme un manuscrit au quotidien « The Guardian », éclosion de son existence littéraire qui se poursuivra à Bloomsbury.

Proche de l’impressionnisme de Virginia Woolf, l’écriture d’Emmanuelle Favier est parfois saisissante de mimétisme. S’introduisant dans les pensées, les sentiments, les sensations, elle suit la famille Stephen en Cornouailles, vacances estivales si importantes pour la future auteure de « Vers le phare », se glisse à Kensington dans la nurserie, dans le bureau du père, dans le lit d’enfant. A la lumière de l’œuvre à venir, elle imagine la naissance d’une écrivaine à la sensibilité exacerbée sous le joug des conventions. Si l’écriture est parfois empreinte de préciosité, elle est élégante sans distance, l’usage d’un « nous » rapprochant délicieusement le lecteur de la figure romanesque et fascinante de Virginia Woolf.

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