La Ressemblance des sexes : De l'Amour en plus au - Conflit - La femme et la mère
Elisabeth Badinter

Le Livre de Poche
Pochothèque
novembre 2012
1160 p.  22,30 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

« L’amour se tricote au jour le jour »

Trente ans après la parution de son premier livre, « L’amour en plus », dans lequel elle affirmait que l’instinct maternel n’existe pas, Elisabeth Badinter publiait « Le conflit ». Cet essai, qui confirmait ses positions, lui valut, avant même que son ouvrage ne soit sorti en librairie, toutes sortes d’attaques de la part des écologistes et des féministes. A vous de juger puisque voici réunis en un seul volume intitulé « La ressemblance des sexes »:  « L’amour en plus », « L’un est l’autre », « XY », « Fausse route » et « Le conflit »

Que s’est-il passé durant ces trente années qui séparent vos deux livres, « L’amour en plus » et « Le conflit » ?
Il y a d’abord eu une crise économique majeure avec un pic au début des années 90. Le travail des femmes a changé. Il est devenu plus stressant, précaire, avec des horaires flexibles, et des études montrent qu’elles n’étaient pas employées au niveau de leurs compétences. Bref, ce travail a perdu de son attrait. Les femmes moins favorisées ont accepté l’indemnité que le gouvernement français leur offrait pour rester à la maison durant les trois premières années de leur enfant. Indemnité qui correspondait à un demi-SMIG. Et les plus favorisées  se sont montrées sensibles à l’air du temps. Mais ce qu’aucune d’elle ne semble avoir imaginé, c’est qu’après avoir arrêté quelques années, il serait si difficile de retrouver du travail.

Quelles sont ces idées dans l’air du temps dont vous parlez ?
On a vu l’émergence d’un discours naturaliste tenu par les écologistes, les féministes et les pédiatres. Ils se demandaient si on n’avait pas fait fausse route, en tournant le dos aux lois de la nature, et estimaient qu’il fallait consacrer davantage de temps à ses enfants. Ils n’hésitaient pas à remettre en cause des progrès comme la pilule, les biberons, la péridurale… Il faudrait accoucher dans la douleur, allaiter à tout prix. Et l’ancienne ministre de l’écologie, Nathalie Kosciusko-Morizet nous a même menacés de créer une taxe sur les couches jetables.

Mais que viennent faire les féministes dans ce combat?
En 1980, il s’est produit une scission au sein du MLF américain. Ces dissidentes prétendaient que l’on avait échoué parce que l’on avait imité les hommes. Et elles affirmaient que, pour prétendre à l’égalité, il fallait que les femmes retrouvent leur fierté maternelle. Qu’elles étaient destinées, depuis toujours, aux soins des plus faibles de la société et qu’il ne fallait plus partager les tâches, mais que chacun devait agir en fonction de sa nature.

C’est-à-dire, pour résumer, la carrière aux hommes et la maternité aux femmes ?
Nous sommes loin en tout cas de notre objectif qui était de tout concilier : avoir des enfants et travailler. Mais aujourd’hui, à force de charger la barque maternelle, le conflit intérieur entre la femme et la mère devient de plus en plus aigu et l’on risque d’arriver à deux situations extrêmes. Soit elles resteront à la maison, soit elles ne feront plus d’enfants.

Pour vous, la situation s’est donc dégradée en trente ans.
Mon livre en tout cas constitue une sorte d’avertissement. Nous avons l’exemple du 18è siècle, époque à laquelle les femmes étaient très libres, et où l’on estimait légitime qu’elles aient d’autres intérêts que leurs enfants. Mais le taux de mortalité infantile était si élevé, qu’il fallait réagir, et Rousseau s’est fait le porte-parole d’un changement radical. Il a écrit « Emile » où il affirmait qu’une femme devait être dans sa maison comme une nonne dans un couvent ! La Révolution française a entériné ces idées en interdisant aux femmes toute activité extérieure. Ce que je veux dire, c’est que les libertés féminines ne sont pas inscrites dans le marbres et qu’il faut rester vigilant.

Mais continuez-vous vraiment à penser que l’instinct maternel n’existe pas ?
Oui, dans le sens où je ne crois pas que des processus hormonaux définissent la maternité. Je pense en revanche que l’amour se tricote au jour le jour. On peut avoir un coup de foudre immédiat pour son bébé ou pas. Il y a des femmes pour lesquelles ce n’est pas si simple. Si le véritable instinct maternel existait, on saurait immédiatement quoi faire avec un nourrisson et on ne se sentirait pas si démunies. Et lorsqu’on voit le nombre de maternités ratées, ces enfants abandonnés moralement, et cela dans toutes les classes de la société…

Que préconisez-vous pour régler ce conflit entre la femme et la mère ?

Accepter d’abord qu’il n’y a pas de maternité parfaite, ni d’enfant idéal. Et puis garder un pied dans l’emploi à tout prix. Le retrait du monde du travail est très dangereux. Aujourd’hui, un couple sur deux divorce et les femmes se retrouvent parfois dans une grande précarité. Et s’il faut rester avec un homme que l’on n’aime plus pour des raisons financières, c’est terrible.

Comment expliquez-vous les polémiques que vous suscitez, assez violentes il faut le reconnaître ?
Ce choix intime que doivent faire les femmes est fondamental et forcément passionnel. Avec « L’amour en plus », il y a trente ans, j’avais le vent derrière moi. Aujourd’hui au contraire, je l’ai devant moi.

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