Il est intéressant de noter que le texte a une première fois été publié en 2011 en hébreu, copyrighté par l’auteur en 2012, traduit par ses soins (avec deux collaborateurs) en 2014 avant de l’être en français en 2015 (ainsi que dans une trentaine d’autres pays, énorme succès, recommandé par le club de lecture de Mark Zuckerberg). De fait, il se place en 2014 dans son évocation du présent (pas le plus intéressant). Initialement un cours d’introduction à l’histoire mondiale, c’est une histoire que nous raconte Yuval Noah Harari, et à ce titre cet essai se lit comme un roman, rythmé par de nombreuses anecdotes et autant d’analogies, souvent amusantes – ou provocantes (parfois aussi un petit peu ratées). Avec un grand sens de la vulgarisation, nous survolons allègrement 13,5 milliards d’années avant de poser les bases d’une extrapolation de l’avenir (« Homo Deus, Une brève histoire du futur » paraîtra à la fin du mois). Ca se lit vraiment très bien même si çà et là quelques répétitions ou thèmes chers à l’auteur un chouïa ressassés peuvent crisper quelque peu. On apprend évidemment des choses (et sur des sujets très divers) mais ce qui emporte essentiellement c’est la passion de l’auteur pour son sujet. L’humanité, rien de moins ! Il y en a des choses à dire… Pourquoi donc l’Homo sapiens est-il parvenu à s’imposer en maître sur la terre ? Selon l’auteur, c’est en raison de sa capacité à croire en la fiction.
« On conviendra sans trop de peine que seul l’Homo sapiens peut parler de choses qui n’existent pas vraiment et croire à six choses impossibles avant le petit-déjeuner. Jamais vous ne convaincrez un singe de vous donner sa banane en lui promettant qu’elle lui sera rendue au centuple au paradis des singes. »
Notre capacité à croire en des fictions communes, et partant, à collaborer (même – et surtout – entre inconnus) serait donc la clef de notre succès (autrement dit, notre prédilection pour les concepts abstraits), notre perte étant notre difficulté à anticiper à long terme. Ceci étant très grossièrement résumé, et à lire sur de nombreuses pages détaillées et marquantes. L’une des raisons du succès de cet essai, à mon sens, c’est que la personnalité – et les avis – de l’auteur transparaissent aisément à travers son texte, donnant autant de raisons de s’en énerver que d’y adhérer. En tout cas, ce n’est pas un livre tiède.
« La culture a tendance à prétendre qu’elle interdit uniquement ce qui est contre nature. Dans une perspective biologique, cependant, rien n’est contre nature. Tout ce qui est possible est aussi naturel, par définition. Un comportement réellement contre nature, qui va contre les lois de la nature, ne saurait tout simplement exister, en sorte qu’il ne nécessiterait aucune interdiction. Aucune culture ne s’est jamais donné la peine d’interdire aux hommes de photosynthétiser, aux femmes de courir plus vite que la vitesse de la lumière ou aux électrons négatifs d’être attirés l’un par l’autre. »
« L’évolution a fait de l’Homo sapiens, comme des autres mammifères sociaux, une créature xénophobe. Sapiens divise d’instinct l’humanité en deux : « Nous » et « Eux ». Nous, c’est vous et moi, qui partageons langue, religion et usages. Nous sommes responsables les uns des autres, mais pas d’eux. Nous avons toujours été différents d’eux, et nous ne leur devons rien. Nous ne voulons pas d’eux sur notre territoire, et nous nous fichons pas mal de ce qui se passe sur le leur. C’est à peine si ce sont des hommes. Dans la langue du peuple Dinka, au Soudan, « Dinka » signifie simplement « hommes ». Ceux qui ne sont pas Dinka ne sont pas des hommes. Les ennemis jurés des Dinka sont les Nuer. Et que veut dire le mot « Nuer » dans leur langue ? Les « hommes originels ». A des milliers de kilomètres des déserts soudanais, dans les terres prises sous les glaces de l’Alaska et du nord-est de la Sibérie, vivent les Yupiks. Et que signifie « Yupik » dans leur langue ? Les « vrais hommes ».»