Hannah Arendt

Editions Naïve
janvier 2015
81 p.
 
 
 
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Une juive

Dans ce roman graphique, Hannah Arendt se raconte. De son enfance jusqu’à son dernier souffle où un poème de W.H Auden lui « ouvre l’accès au pays des morts ».

Après Françoise Dolto, Virginia Woolf, Diane Fossey, Isadora Duncan, Coco Chanel et Maria Sibylla Merian, la collection « Grands destins de femmes » (Naïve) nous propose de découvrir la vie en cases et en bulles de cette immense philosophe allemande naturalisée américaine qui a su prendre le 20e siècle à bras le corps en le traversant « libre comme une feuille au vent ».

À la question « qui êtes vous ? », selon Hannah Arendt la seule réponse adéquate pour elle est « Une juive ». Cette affirmation frontale résume l’audace et la détermination hors-norme dont a fait preuve cette femme qui a fait face au nazisme et tenté de comprendre sans accepter. Contrainte une longue partie de sa vie à fuir, d’exil en exil, les persécutions subies par les juifs, elle n’en a pas moins affronté tous les débats du siècle sans transiger sur son indépendance d’esprit et sa lucidité pour regarder en face la triste « Banalité du mal ». Une posture, entre autres, qui provoquera de nombreuses critiques voire des controverses qu’elle saura aborder bien mieux que les exercices d’admiration et les honneurs qui la mettaient mal à l’aise.

C’est une Hannah Arendt très engagée politiquement et intellectuellement que nous présentent Béatrice Fontanel au scénario et l’Écossaise Lindsay Grime à l’illustration. Il ne pouvait naturellement pas en être autrement. Mais c’est surtout une femme investie en amour et en amitié qu’elles nous font découvrir. Et cette face lumineuse de la philosophe nous est moins familière. Celle où elle s’engage corps et âme dans la vie tout court par ses sentiments, ses émotions et pas seulement par sa pensée. Tout le monde connaît sa relation avec Martin Heidegger qui, de la passion amoureuse à l’amitié, ne sera jamais rompue en dépit de l’adhésion de ce dernier au parti nazi. Mais ce que l’on connaît moins c’est la très belle histoire d’amour avec son second mari, le communiste allemand, professeur autodidacte, Heinrich Blücher qui a joué un rôle essentiel dans sa formation intellectuelle et émotionnelle. Elle disait de lui « Grâce à mon mari, j’ai appris à penser politiquement ». Mais il lui a aussi appris à penser artistiquement, pour que les images des peintres se donnent à elle qui était avant tout sous la fascination des textes. Ce sont par ailleurs les liens indéfectibles d’amitié qu’elle noue avec de grands penseurs comme le philosophe existentialiste et psychiatre Karl Jaspers ou encore Walter Benjamin qui lui confia ses manuscrits avant son suicide. Sans oublier ses tendres amies comme la collectionneuse de rêves Charlotte Berardt ou Lotte Eisner première femme critique de cinéma et la fidèle Mary Mccarthy avec qui elle correspondit toute sa vie durant. Toute une galerie de personnages intenses, telle une constellation d’intelligence et de sensibilité autour de la fascinante Hannah.

Par la poésie du trait de Lindsay Grime et la justesse de l’approche du scénario de Béatrice Fontanel, ce très bel album nous fait traverser ce siècle ensanglanté aux côtés d’une femme d’exception avec une forme de légèreté grave ou de gravité légère.

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Une jolie forme qui manque de fond

Nouvelle parution de la collection « Grands destins de femmes » chez Naïve.

Parlons d’abord de la forme…

Le dessin est tendre et doux pour rendre hommage à une femme qui a traversé une grande partie du XX° siècle. Certes, elle a été le témoin « privilégié » des deux guerres : enfant lors de la première (elle est née en 1906), jeune femme lors de la seconde, elle aura fui le totalitarisme du nazisme plus parce qu’elle est une intellectuelle que finalement parce qu’elle était juive, posture qu’elle renouvellera en quelque sorte dans les années 60 avec la parution sous forme de recueil de ses articles sur le procès Eichmann.

Il n’y a rien à dire sur le dessin ni sur la structure narrative très linéaire, très chronologique de la vie d’Hannah Arendt.

… et venons-en au fond

C’est là où se situe la faiblesse du livre.

Pour ce qui est de retracer fidèlement la vie d’Hannah Arendt, de rendre compte de ses rencontres qui ont fatalement façonné plus ou moins fortement sa pensée (Karl Jaspers, Kurt Blumenfeld, Husserl, Heidegger,…), de décrire la vie fascinante et mouvante de cette penseuse du totalitarisme, cette bande dessinée ne souffre d’aucune faiblesse.

Pour ce qui est de présenter la pensée d’Hannah Arendt, là c’est une autre histoire… Le livre aborde la publication de ses deux livres les plus connus « Les origines du totalitarisme » et « Eichmann à Jérusalem », elle omet clairement d’en aborder les théories présentées par l’auteur. La faiblesse est d’autant plus grande que le recueil d’articles parus sous le titre de « Eichmann à Jérusalem » a provoqué un schisme dans les relations d’Hannah Arendt avec bon nombre de ses amis sans que l’on ait une idée du contenu de ces articles.

La présentation des théories d’Hannah Arendt sur la totalitarisme est parcellaire et excessivement rapide.

Le mérite de cette bande dessinée est alors surtout de donner envie de (re)lire Hannah Arendt et quelques uns des grands penseurs qu’elle a côtoyés tout au long de sa vie. A ce titre, l’appendice du la bande dessinée qui présente par colonne les bios des grands personnages dont Hannah Arendt a croisé la route, les liens qui les ont unis et les influences réciproques ou non qu’ils ont pu avoir les uns sur les autres est particulièrement intéressant.

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