La découverte du monde
Luciana Castellina

Traduit par Marguerite Pozzoli
Actes Sud Editions
avril 2013
272 p.  22 €
ebook avec DRM 16,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Chronique italienne

La scène d’ouverture de ce livre est sidérante. Nous sommes le 25 juillet 1943 à Riccione, station balnéaire huppée près de Rimini, en Italie. La narratrice a quatorze ans et, en ce doux soir d’été, joue au tennis avec son amie Anna Maria. Un policier en civil surgit, s’entretient avec Anna Maria qui prévient la narratrice : « Je dois partir tout de suite ».

« Anna Maria était Anna Maria Mussolini, fille de Bénito et de Rachele, écrit aujourd’hui Luciana Castellina. Elle avait été ma camarade de classe à l’école primaire et durant les deux premières années de collège ». Si la partie de tennis a été interrompue, c’est parce que « son père avait été arrêté à Rome dans la journée ».

Luciana Castellina est une figure du monde intellectuel italien. Journaliste, fondatrice du quotidien « Il manifesto », elle est aussi une femme politique d’importance, l’un des piliers historiques de la gauche transalpine. Le livre qui vient d’être traduit chez Actes sud a été écrit à partir du journal qu’elle a tenu de 14 à 19 ans, de 1943 à 1948.

Sa « découverte du monde » constitue un document absolument passionnant. Luciana Castellina ne se contente pas de retranscrire ce qu’adolescente elle avait consigné dans son journal. Elle étudie au contraire le document à la façon d’une historienne, analysant ses réactions d’alors, expliquant ce qui n’a pas été noté à l’époque. Retenant les passages les plus marquants du texte, elle extrapole, raconte ce qui s’est passé avant ou après. Le livre propose ainsi un remarquable éclairage sur cette période de la fin de l’ère mussolinienne et les débuts de la république italienne qui se conjugue, pour l’auteur, avec la découverte du communisme, notamment grâce à un séjour en Yougoslavie, et le début de son engagement politique.

Plusieurs anecdotes pleines d’humour traversent ce texte, qui nous rappelle par exemple qu’à la fin des années 40 à Palerme « une femme seule ne peut pas s’asseoir dans un café » ou que prendre le train qui reliait Bari à Messine et ainsi traverser le sud de la Botte « c’était comme se rendre au Far West ».

En filigrane, Luciana Castellina parle aussi de sa famille, de son milieu social, ce qui s’avère tout aussi passionnant. Car sa mère appartenait à la grande bourgeoisie juive triestine, héritière d’une culture très Mitteleuropa, à laquelle on ne pense pas forcément lorsque, de ce côté-ci des Alpes, on évoque l’Italie, alors qu’elle en est une de ses composantes.

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