Les quatre coups de la Nuit de cristal
Corinne Chaponnière

Paris, 7 novembre 1938, L'affaire Grynzpan-vom Rath
Editions Albin Michel
Sciences humaines
septembre 2015
333 p.  19,50 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

La Nuit de cristal et ses mystères

Le 7 novembre 1938 au matin, Herschel Grynszpan, un jeune juif d’origine polonaise, venu d’Allemagne, réfugié en France, entre à l’ambassade du Reich à Paris, demande à parler à l’attaché Ernst vom Rath et lui tire dessus. La mort du diplomate servira de prétexte aux nazis, deux jours plus tard, pour déclencher des représailles d’une violence épouvantable contre les juifs et leurs commerces. Tant de magasins furent pillés et de vitrines brisées que cette nuit d’horreur resta dans l’histoire sous le nom de « Nuit de cristal ».
Ce qui intéresse Corinne Chaponnière, ce n’est pas la Nuit de cristal en elle-même mais ce qui a poussé Grynszpan à agir. Pourquoi cet homme si jeune a-t-il décidé de tuer un Allemand ? Pourquoi un diplomate ? Et pourquoi vom Rath ? Le connaissait-il ? A-t-il agi seul ? Et s’il s’agissait d’un crime passionnel, l’homosexualité de vom Rath ne semblant guère faire de doute ? Commence alors une enquête méticuleuse, superbement écrite par une auteure qui a tout lu, consulté toutes les archives qu’elles soient en France, en Allemagne ou ailleurs.
Cette démarche, quasi policière, est en soi captivante. Mais ce qui l’est plus encore ce sont les différentes explications données selon les parties qui s’expriment. Les Français initialement chargés de l’enquête, les Allemands qui vont mener l’instruction en vue d’un procès qui n’aura jamais lieu, les communistes qui crient à la manipulation, la famille de Grynszpan enfin, livrent chacun une analyse qui colle au message qu’ils veulent faire passer bien plus qu’à la réalité des faits.
Un mot sur la version allemande qui est la plus étonnante. Pour eux, c’est simple. Grynzspan symbolise à lui seul le complot juif mondial contre l’Allemagne. L’affaire est entendue. Un procès fortement médiatisé devra en apporter la démonstration éclatante. Mais l’on se rend compte que même dans les dictatures, et qui plus est au pays de la méthode et du respect de la règle qu’est l’Allemagne, un grain de sable est toujours possible. Qu’un magistrat instructeur scrupuleux fasse allusion, dans l’acte d’accusation, à l’homosexualité de la victime et toute la belle opération de communication tombe à l’eau. Ajoutez à cela les rivalités entre les ministres de la justice, de la propagande (Goebbels) et des Affaires étrangères (Ribbentrop) et vous comprendrez pourquoi le procès de Herschel Grynzspan, dont on ne sait absolument pas ce qu’il est devenu, ne s’est jamais tenu.
De ce fait divers presque banal, de cette petite histoire, Corinne Chaponnière se saisit avec brio pour rejoindre la grande Histoire et nous donner un récit rigoureux, vivant et passionnant.

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