Sorbonne plage
Edouard Launet

Stock
mai 2016
216 p.  18 €
ebook avec DRM 12,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

la plage et la bombe

En amoureux de la Manche, Edouard Launet, découvre « le nez plongé dans les cartes marines », la presqu’île de l’Arcouest, un petit village des Côtes du Nord. La famille Bettencourt y possède une maison avec vue magnifique sur la baie de Paimpol et la presqu’île de Bréhat. Mais ce coin fortuné fut aussi » le repaire estival des grands noms français de la physique atomique ». C’est le point de départ d’un récit qui mêle histoire d’un lieu magnifique, d’une époque, celle qui va de l’Affaire Dreyfus à Hiroshima, et d’un groupe de scientifiques de haut vol. Marie Curie, sa fille Irène, et son gendre, Jean Perrin et son fils Francis, et bien d’autres grands noms de la physique atomique y séjournent à partir de 1910. Ils y achètent des maisons, se baignent, naviguent à la rame en famille, escaladent des rochers, organisent des randonnées avec une ribambelle d’enfants, bref se ressourcent et se marient entre eux. Ce petit paradis, surnommé Fort la Science ou Sorbonne Plage, compte des historiens, des mathématiciens, des artistes, des hommes politiques qui se battent pour la paix, la justice sociale, le progrès humain, la liberté. En journaliste scientifique, Edouard Launet, enquête sur ces vacanciers pas comme les autres dont quatre d’entre eux sont honorés d’un prix Nobel. Mais « leur rêve » écrit Edouard Launet,  » s’est brisé net le 6 août 1945 à 8 h 16, heure de Tokyo ». L’explosion de la première bombe atomique à Hiroshima met à mal leur credo d’une science au service de l’humanité : « le progrès n’est pas synonyme de mieux mais de mort ». Et d’ajouter, « le désenchantement qui a suivi pèse aujourd’hui sur le joli paysage de l’Arcouest comme un nuage de grain ou d’apocalypse ».

partagez cette critique
partage par email
 Les internautes l'ont lu
nuit blanche

Sorbonne Plage, les humanistes et la bombe

Qu’advient-il des romans qui paraissent en mai et juin au moment du déferlement de la rentrée littéraire de septembre? Sont-ils condamnés à disparaître sous les piles des livres qui envahissent les librairies à la fin août? Il faut malheureusement répondre par l’affirmative dans la plupart des cas et, par conséquent, condamner ce roman. Pourtant, il ne mérite vraiment pas ce traitement tant il est original. Car il y a au moins cinq niveaux de lecture possible pour ce roman, un niveau géographique, un niveau «people», un niveau historique, un niveau scientifique et un niveau sociologique. Le niveau géographique, c’est celui qui nous fait découvrir la presqu’île de l’Arcouest, d’abord depuis la mer. Le narrateur, parti de Paimpol pour rejoindre la Bretagne sud et faire escale à l’île d’Ouessant, doit diriger son voilier entre les rochers, raser le bourg de Pors-Even avant de découvrir ce coin de Bretagne qui va tant plaire aux intellectuels parisiens. À l’occasion de sorties en mer, de baignades ou de promenades, le lecteur est invité à en découvrir les recoins, mais aussi de suivre le développement économique avec la construction des maisons de villégiature et le Développement du tourisme. On peut considérer l’historien Charles Seignobos comme l’initiateur de ce mouvement. Avec le physiologiste Louis Lapicque, il est en effet à l’origine de ce qui deviendra au fil des ans la communauté scientifique qui donne son titre à l’ouvrage. On y croisera pas moins de quatre Prix Nobel : Pierre et Marie Curie, Frédéric et Irène Joliot-Curie et Jean Perrin. Au fil des ans, il seront rejoint par Emile Borel, Pierre Auger ainsi que par quelques industriels tels que Eugène Schueller, le fondateur de l’Oréal. Quand sa fille Liliane prend des bains de mer, elle peut tester l’ambre solaire et observer ces vacanciers humanistes que la presse va finir par rassembler sous le nom générique de «Fort la science». Car s’il est bien question de vacances, notamment pour les enfants de ces scientifiques, l’endroit se prête aussi aux échanges et à l’élaboration de quelques projets communs comme, par exemple, la création d’outils de formation. Ainsi le CNRS ou du CEA doivent sans doute beaucoup à l’Arcouest. L’engagement social, l’idée que la science doit être au services des hommes donnera lieu à des débats enflammés – notamment quand il sera question des recherches dans le domaine nucléaire – tout comme l’affaire Dreyfus en faveur duquel une majorité, sinon une unanimité, se dégage très vite. « Il y avait là l’image la plus achevée de ce que fut le XXe siècle : idéalisme, puis violence, puis désillusion.» Quand des milliers de Japonais meurent des radiations émises par la première bombe atomique, par exemple. La cohabitation des Bretons avec cette communauté donne aussi quelques pages savoureuses, même s’il faut bien avouer une petite déception avant de refermer ce livre: le souffle romanesque qui aurait pu accompagner cette épopée n’est qu’une petite brise qui ne parvient pas à faire gonfler les voiles d’un récit qui reste un peu encalminé dans sa très solide documentation.

Retrouvez Henri-Charles Dahlem sur son blog

partagez cette critique
partage par email