Dans la peau d'une djihadiste
Anna Erelle

Enquête au coeur des filières de recrutement de l'Etat islamique
J'AI LU - LIBRIO
documents
septembre 2015
256 p.  7,20 €
 
 
 
 Les internautes l'ont lu

Cela donne froid dans le dos

Hasard du calendrier, cette enquête sur les filières du recrutement de l’Etat Islamique est parue le 8 janvier 2015, la journée de l’attentat de Charlie Hebdo. Il avait rejoint ma bibliothèque et les tristes événements de ce vendredi 13 novembre à Paris m’ont donné l’envie de le lire.

Je voulais comprendre ce qui pousse des jeunes de chez nous à tout quitter pour cela.

C’est édifiant, cela fait froid dans le dos et je pense ne jamais avoir été dans un état de stress pareil lors de la lecture.

Anna Erelle est journaliste. Elle a voulu savoir ce qui poussait ces jeunes à tout quitter pour se rendre là-bas. Cette enquête a changé sa vie à tout jamais car une « Fatwa » est ouverte à son encontre et lui promet une mort atroce. Elle est aujourd’hui encore obligée de se cacher et est protégée.

Nous sommes au printemps 2014, Anna a créé un profil sur Facebook, celui de Mélanie, son avatar est Jasmin de Disney. Un vendredi soir, elle poste une vidéo d’Abou Bilel sur sa page. Il est considéré comme un des bras droits du leader de l’EI Abou Bakr al-Baghdadi.

Le soir même, Bilel prend contact avec elle et lui demande un contact via Skype (plus facile).
Le dimanche il lui demande s’il peut être son courtisan.
Le lundi lui propose de l’épouser et d’aller le rejoindre là-bas.

Il est direct et promet de tout lui offrir. Un véritable lavage de cerveau commence. En allant là-bas, elle sera une reine. Il cherche à l’endormir en la berçant de douces mélodies.

Anna alias Mélanie portera une robe noire et un hijab (voile couvrant l’ovale du visage) pour lui parler via Skype. Un ami photographe prendra des photos durant le reportage. Les contacts deviendront de plus en plus fréquents et il sera difficile à Anna de ne pas sombrer dans la schizophrénie passant de la journaliste à Mélanie.

Bilel deviendra de plus en plus envahissant au fur et à mesure de l’enquête et laissera apparaître son vrai caractère et des incohérences. Lui qui se bat contre le capitalisme lui demandera des cadeaux de marque….

La technologie 2.0 est vraiment la technique de recrutement de nouveaux djihadistes. A force de séduction et de promesses, ils incitent les jeunes un peu fragiles à rejoindre leurs rangs. Par une lobotomisation, une perte d’identité et la prise d’un nouveau prénom arabe, ils deviendront ensuite un instrument de liaison.

Je suis convaincue que l’éducation et l’information sont essentielles pour éviter que des jeunes en quête de sens à leur vie ne succombent à leur appel. C’est tout le bien fondé et la raison d’être de cette enquête qui certes n’a pas un grand style littéraire mais a le mérite de nous offrir la réalité et le quotidien du métier de journaliste et des risques liés à l’enquête.

Ce récit nous explique la volonté de Daesh de faire de ce monde un seul et unique Etat Islamique. Celui qui ne respecte pas leur loi suffit pour être déclaré un ennemi et doit disparaître. Trois types de combattants existent ceux qui vont sur le front, les kamikazes et ceux qui rentrent au pays pour punir les infidèles. Cela fait froid dans le dos mais ce témoignage est essentiel pour comprendre notre triste réalité.

Les phrases interpellantes

Pour aboutir au même constat : peu importe d’où vient le candidat au djihad, son milieu social, sa religion, son entourage, il se tourne vers la religion après l’échec ou le mal-être de trop, se radicalise, puis part en Syrie afin d’intégrer l’une des nombreuses brigades islamistes qui y prolifèrent.

J’imagine mon avatar toulousain, Mél N, comme une ultrasensible, qui ne cherche pas à dominer mais plutôt à l’être afin de trouver un sens à son existence. Comme tant d’autres jeunes, peu importe l’époque, peu importe le milieu social, elle souffre du mal de vivre.

Tu me dis tuer des gens mauvais pour assainir le monde, mais pourquoi les mutiler ? Si votre cause est noble, pourquoi une telle barbarie ?

Peu importe le milieu social ou les motivations cachées, l’organisation terroriste regorge d’arguments imparables pour les attirer dans ses filets. Que le candidat veuille combattre ou faire de l’humanitaire, Daesh détient une solution pour tous. L’organisation procure l’illusion d’accorder de l’importance à ces gamins perdus pour mieux les déposséder et les reformater.

Il manoeuvre pour non seulement les lobotomiser, mais aussi pour les culpabiliser.

Entre nous, le langage est cru et direct. Les mots ne nous effraient pas. Les maux, eux, nous atteignent de moins en moins au fur et à mesure que les années s’étiolent.

Tu peux tuer, tant que tu enlèves au monde une vie humaine qui ne respecte pas Allah. Il n’y a rien de mal à ça, au contraire, il le faut.

Je lui ai confié certaines expériences douloureuses de ma vie personnelle, en lui livrant quelques clés qui m’ont aidée. Mais on ne trouve jamais toutes les serrures, sinon la vie ne serait pas ce qu’elle est.

J’ai pour principe de toujours chercher d’abord le bon chez l’être humain, quel qu’il soit, et de penser qu’il existe des solutions aux situations compliquées que la vie nous impose inévitablement.

Tu ne dois pas changer la nature des choses, c’est écrit… La charia répond à des lois strictes : si tu as n’importe quel problème demain, comme te faire agresser, voler ou autre, tu es considérée comme un kouffar si tu t’en plains à ton pays. Dans ce cas, tu deviens mon ennemi et celui du Tout-Puissant, puisque en te tournant vers la justice des hommes, tu deviens d’office une infidèle.

Plus que jamais je marche sur un fil. J’ai tout à fait conscience de ne pas être devenue Mélanie, mais je me suis mise dans la peau d’un funambule phobique du vide.

Retrouvez Nathalie sur son blog 

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