L'ABDICATION
Aquilino Morelle

Grasset
janvier 2017
402 p.  22 €
ebook avec DRM 15,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Un président ne devrait pas faire ça…

Installé dans le bureau d’Eugénie, peut-être le plus beau de l’Elysée, à quelques pas de celui  du Président, Aquilino Morelle occupe la fonction de conseiller politique de François Hollande depuis son élection à laquelle il a pris une part active. Dans « L’Abdication », il raconte.

Il raconte l’exercice du pouvoir par François Hollande, il raconte la gauche depuis 1981, et puis il se raconte lui-même, brièvement.

Florange ou l’abdication

On pourrait croire que le titre du livre fait référence à la décision récente du président de ne pas se représenter à la prochaine élection. Mais non. Pour Morelle, l’abdication a eu lieu au début du quinquennat, précisément à l’automne 2012 quand, plutôt que de nationaliser les aciéries de Florange, même partiellement, on décida, sous la pression de Ayrault de composer avec Mittal.

Dans cette décision, Morelle voit l’échec de cette gauche du non au référendum sur la constitution européenne à laquelle il appartient, cette gauche qui pense que le politique doit primer sur l’économique, que l’austérité prônée par l’Union européenne est néfaste et surtout qu’il faut prendre en compte les revendications du monde ouvrier délaissé par le Parti Socialiste.
C’est en parlant à cette gauche, notamment avec le fameux discours du Bourget (« mon ennemi c’est le monde de la finance »),  dont Morelle est le co-auteur,  que François Hollande a fait décoller sa campagne. Quelques jours plus tard, il se rendra à Florange, se hissera sur le toit d’une camionnette et laissera croire aux ouvrier qu’il les a compris.

Mais en négociant avec Mittal, six mois après son élection, il révélera le libéral qu’il est et a toujours été. C’est l’occasion pour l’auteur de revenir sur l’histoire des gauches socialistes depuis 1981 et le tournant de la rigueur de 1983. Ce retour est documenté, intéressant et pertinent. Là s’est créée une ligne de fracture de la gauche qui, aujourd’hui encore, n’est ni refermée ni dépassée et qui explique l’éparpillement « façon pulzze » d’un PS où les tontons flingueurs ont remplacé les éléphants.

Des renoncements, il y en aura d’autres et notamment celui de faire évoluer l’Europe vers une politique d’investissement et de relance, l’un des thèmes de campagne du président. L’Italie et l’Espagne attendait l’impulsion de Hollande. Il s’est dérobé, laissant la main à Angela Merkel.

C’est cela que l’on vit aux côtés d’Aquilino Morelle. Les renoncements, les non-décisions,  la peur de dire les choses en face, ménager la chèvre et le chou. Hollande apparaît comme rusé, cynique et manipulateur. Incapable de conflit aussi. Il va mettre des mois à se séparer d’Ayrault, dont il semble avoir peur; Ayrault que Morelle décrit comme buté, têtu, peu loyal et incapable de diriger le gouvernement.

Et puis il y a les autres. Pas beaucoup. Montebourg dont il dirigea la campagne lors des primaires de 2002, dont il est proche amicalement et politiquement. Macron revient souvent. Les deux s’entendent bien et il reconnaît à celui qui n’est pas encore « En marche », qu’il décrit comme drôle et sympathique, une vraie cohérence idéologique (à l’opposé de la sienne), une grande intelligence, des idées et le courage de les défendre. Il y a Valls aussi, dont il est proche. ll l’a rencontré quand ils travaillaient ensemble à Matignon, à l’époque de Jospin, auquel Morelle voue estime et admiration. Le portrait élogieux qu’il dresse de l’ancien Premier ministre fait ressortir en creux et assez cruellement le manque d’envergure de Hollande.

Il y a du dépit dans ce récit. Il est tombé de haut le conseiller à l’ego copieux, lorsqu’il s’est fait virer comme un malpropre lui qui, depuis « le Bourget », se pensait indispensable, intouchable, et se croyait l’ami du président. Car outre la politique, il y eut les affaires, notamment celles de cœur et de scooter de ce président a-normal. Dans ces moments durs, Morelle était là, vaillant soldat tentant de protéger un président désemparé et humilié.

Mediapart à la botte ?

Il faut attendre la page 386 (sur 402) pour arriver à la fameuse affaire du cireur de chaussures qui ravagea l’image du conseiller et qui, couplée à l’accusation de conflit d’intérêts, le poussa à la démission. Passons sur le conflit d’intérêt, accusation grave, dont il fut blanchi rapidement et définitivement. C’est le cirage de pompes qui fit le plus de dégâts et dont on se souvient. Affaire picrocholine en soi, elle fut jugée comme un crime symbolique, une trahison des idées de gauche. La preuve que le pouvoir et les palais de la République corrompent même les militants les plus à gauche.

Morelle accuse clairement Hollande d’avoir compilé ces éléments à charge et de les avoir volontairement fait fuiter le moment venu. Il accuse Mediapart, via Edwy Plenel jugé proche du président, d’avoir relayé ces infos et joué les exécuteurs de basses œuvres. L’accusation est extrêmement grave, à dire vrai assez peu étayée ; on imagine qu’elle sera démentie.
Reste que c’est un torrent de boue qui s’abat alors sur Morelle et le meurtrit profondément.

S’ensuit alors un passage, sans doute le meilleur de ce livre bien écrit (avec cinquante pages en moins il aurait été meilleur), où l’auteur raconte ses parents espagnols fuyant le franquisme, son enfance heureuse sur les hauts de Belleville, la découverte du Paris des beaux quartiers, des grandes écoles et des grands bourgeois qui les fréquentent. Il dit le plaisir et la fierté du chemin parcouru, mais il ne renie rien, n’oublie pas d’où il vient. Il se veut Barbare (avec une majuscule précise-t-il), au sens où il bouscule les codes et estime que c’est pour cela que les attaques qui le visèrent furent si violentes. Il aurait trahi ses origines. Un fils de prolo, surtout de gauche, ne doit pas, ne peut pas, se faire cirer ses chaussures. C’est fort et sincère, mais politiquement un peu faible. Etait-il vraiment nécessaire de fomenter un tel scandale, qui indirectement éclaboussa le président, pour écarter un homme qui dit lui-même qu’il n’avait pas de mandat, pas de poste au PS, et pas de réseau ?

Il reste que ce livre est utile. On pourrait le rapprocher de « La cause du peuple » de Patrick Buisson qui lui aussi règle ses comptes avec un ancien président. Mais Buisson est glauque, et son lien presque amoureux avec Sarkozy se révèle pathétique. Morelle n’est ni pervers, ni fielleux, mais simplement triste et déçu. Il raconte l’exercice du pouvoir par Hollande en toute subjectivité certes, mais de l’intérieur, et c’est sa grande force par rapport à « Un président ne devrait pas dire ça » de Lhomme et Davet.

En observant ce drôle de président et son mode de gouvernement, on comprend comment on est arrivé à cette situation où la gauche qui, en 2012, avait tous les pouvoirs, se trouve aujourd’hui déconfite, ayant perdu la majorité des villes, la moitié des régions, la majorité au sénat, et se trouve si affaiblie que celui que tout le monde décrivait comme tellement habile, se voit dans l’impossibilité de se représenter.

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