Moi, Jean Gabin
Goliarda Sapienza

Attila
lupin
août 2012
160 p.  17 €
 
 
 
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coup de coeur

Une enfance sauvage et heureuse

En recevant ce livre, très belle couverture au demeurant, un instant de doute m’envahit. Ce livre parlerait de Jean Gabin et sur la photo…. une petite fille déguisée en marquise. Les traits fins ne peuvent appartenir qu’à une petite fille. Heureusement, la 4ème de couverture m’en dit un peu plus.

Moi qui ai appris de Jean Gabin à aimer les femmes, je me trouve maintenant avec la photographie de Margaret Thatcher devant moi…. C’est important une première phrase et celle-ci me plait.
Goliarda, c’est son enfance qu’elle nous raconte. Elle va nous promener au rythme de ses longues déambulations dans la Catane de son enfance.
Seule déambulant d’un pas court et énergique éclatant de courage altier, j’adaptais mes petits pieds à la démarche pleine d’autosuffisance virile de Jean Gabin, en fixant les yeux ténébreux de ma casbah de lave et la métamorphosant instantanément en l’enchevêtrement d’une resplendissante clarté de sa casbah à Lui.

Goliarda va calquer sa vie, sa façon d’être en fonction de ce qu’elle ressent en regardant les films de son acteur chéri, Jean Gabin. Lorsqu’elle se bat, voici ce qu’elle répond à son père : « Gabin aurait fait la même chose ».

Mais, parlons de la famille Sapienza. Sa mère, socialiste convaincue, féministe de la première heure et son père avocat ne s’occupant que de la cause des petites gens, n’éduquent pas leurs enfants dans la foi chrétienne et leurs laissent une grande liberté. J’avais été élevée de façon moderne, moi, et je savais, je n’étais pas l’une de ces petites bécasse abruties par l’opium du mensonge qui pullulaient sur les chemins du monde, du moins selon ce que disait le professeur Jsaya. Goliarda avait sept demi-frères et sœurs, du côté de sa mère, et son père avait eu un fils, mort très jeune, Goliardo, dont elle porte le prénom, un prénom lourd à porter quelque fois. Les entourent Tina, Zoé sauvées de la prison par son père et dévouées à la famille. Et puis, il y a les oncles Nunzio, Giovanni qu’elle adore bien qu’il n’ait pas voulu lui apprendre le métier de cordonnier. Lorsqu’il veut lui donner de l’argent elle réplique : je suis venue chercher du travail, pas l’aumône.

Goliarda adore sa famille, admire ses parents : Moi, au moins, j’avais un père rebelle, même s’il n’était pas de la stature de Jean, et une mère aussi, qui, ce n’est pas pour dire, avait également été –et va plusieurs reprises – en prison pour le bien des pauvres et des opprimés.

Si Goliarda a besoin d’argent, elle doit le gagner. Les sous, c’est vraiment étrange, tant qu’on les garde entiers ils peuvent durer un mois, mais si on les change en un tas de petite monnaie qui sur le moment paraît une montagne, ils se volatilisent en un clin d’œil ; phrase que l’on répète souvent en craquant nos billets de 20 euros !!!

L’école…. Elle y va en pointillé. Son frère Ivanoe est, dans la fratrie celui qui est chargé de son éduction, pour ne pas fréquenter l’école fasciste. A8 ou 10 ans, elle a lu Diderot, Voltaire… Elle va seule au cinéma et rentre le soir tard. Les repas pris ensemble sont très rares, pourtant cette famille respire l’amour et la cohésion malgré les tempéraments de feu siciliens.

Elle fréquente beaucoup de monde. Dans l’atelier du commendator Insanguine, marionnettiste, elle répare et recoud les hardes des marionnettes «Nous reprisons point après point les déchirures des captes provoquées par la grande querelle du soir précédent. J’avais appris de maman Insanguine cet art de soigner les plaies ouvertes dans les robes, les capes… ». qui lui apprend la patience. Dans la rue, très populaire, elle est la demoiselle de l’avocat, elle aime à discuter avec « les femmes et les hommes qui font commerce d’eux-mêmes –on ne dit pas putain, c’est méprisant, c’est un métier comme un autre, vieux comme le monde »

Les fascistes sont là avec la peur et cette petite fille, nourrie de liberté, de socialisme, de philosophie, d’anarchie demande à son père « Promets-moi que même si le fascisme devient le plus puissant des puissants des puissants, tu lutteras toujours pour les pauvres, qu’eux aussi ils puissent faire des études comme moi et n’être plus humiliés par les autres. »

Puis, il y a sa rencontre avec Jean, attention à ne pas confondre, ce n’est pas son Jean, mais une américaine réfugiée chez les Sœurs françaises à Rome. Elles sont là, cachées pour échapper aux SS et qu’elle retrouvera plus tard.

A travers les souvenirs de son enfance, Goliarda nous raconte la vie de son quartier populaire avec la grâce sautillante et rieuse de la petite fille qu’elle fut. Les tirades percutantes et définitives montrent combien son éducation anarchiste mais rigoureuse voire rigide l’a marquée, son respect pour les petites gens et sa morgue à l’encontre des bourgeois et autres arrivistes, je ne parle même pas des fascistes, est très vivace. De temps à autre, il faut revenir en arrière pour retrouver une filiation, certains passages sont touffus, mais il y a ce petit quelque chose de musical qui trotte dans la tête, de tempérament de feu qui vous enflamme.
J’ai noté l’Art de la joie pour une prochaine lecture.

L’appendice en fin de livre est une biographie succincte mais très renseignée de la vie de l’auteure. Son sentier d’enfance a été déterminant pour continuer la route de sa vie d’adulte. Goliarda a gardé ses fêlures, ses convictions, sa liberté. Les photographies montrent une belle femme au regard puissant et mélancolique.

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