Papa
Régis Jauffret

Seuil
cadre rouge
janvier 2020
206 p.  19 €
ebook avec DRM 13,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Mon père, cet anti-héros

Régis Jauffret publie là son livre le plus intime. Le romancier du fait divers et de la forme courte avec ses « Microfictions », connu pour son écriture de la cruauté, se tourne vers le passé après la découverte en 2018 d’un documentaire télévisé sur la police de Vichy, dans lequel il reconnaît son père menotté entre deux agents de la Gestapo devant l’immeuble familial marseillais. N’ayant jamais entendu parler de cet épisode, Régis Jauffret se lance dans une quête généalogique, à la recherche d’un fantôme de père mort en 1987. Quelle était la nature exacte de ce film : propagande, reconstitution, arrestation filmée d’un collaborateur ou bien d’un résistant ? La question centrale étant l’identité de son père : héros ou salaud ?

Voici que la littérature intervient comme tentative de réhabilitation de la figure paternelle : « Moi le conteur, le raconteur, l’inventeur de destinées, il me semble soudain avoir été conçu par un personnage de roman ». Ce dernier s’appelait Alfred Jauffret, employé dans l’entreprise de carénage d’un cousin, marié tardivement, sourd, bipolaire, abruti par un puissant neuroleptique, un père sans relief qui faisait honte à son fils. Menant deux existences parallèles, ils n’ont jamais rien partagé, et l’écrivain doit composer avec quelques souvenirs ; c’est pourquoi dit-il, « la réalité justifie la fiction ». Avec ce postulat, l’auteur engendre le père qu’il aurait voulu avoir, essayant de « le restaurer sur les ruines de [sa] mémoire » ; il le rêve en capitaine d’industrie, en héros de guerre torturé, poète et mélomane à ses heures, pianiste, randonneur, mais l’image est mouvante et Alfred lui échappe : « Tu ne me parlais pas de ton vivant, tu te tais mort, comment veux-tu que je fasse semblant de t’aimer ? ». Car derrière cette reconstitution, il s’agit bien de façonner un père pour combler un amour vacant, d’inventer une histoire qui adhère au fameux « papa » qui ne l’a jamais été. Tâche presque impossible, car l’image est fuyante comme une sculpture de sable, n’était la fixation par le roman et les pages bouleversantes de vérité que compose Régis Jauffret. Finalement, c’est peut-être le mystère insondable qui réconcilie le fils avec son père, et qui fait de celui-là la plus belle réussite du second : un écrivain capable de transfigurer le réel par la création.

 

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