Le jour où on a retrouvé le soldat Botillon
Hervé Giraud

Thierry Magnier Editions
octobre 2013
133 p.  9 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

La guerre comme elle est

La Grande Guerre marque l’Histoire au fer rouge, et semble pourtant si loin à ceux qui ne l’ont pas connue. D’ailleurs, c’est bien souvent au jeu de la guerre que les enfants excellent. À l’image du héros qui rechigne à écouter son arrière-grand-mère lui raconter ses vieilles histoires, on peut nous aussi, se lasser des récits de combats. Alors, un énième texte sur la guerre, quel ennui ! Mais ça, c’était juste avant d’ouvrir le roman d’Hervé Giraud.

1914. Sous le grondement sourd des obus, sous le sifflement des balles et les ordres assourdissants, le soldat avance, soumis à une impérieuse envie de survivre. De la guerre, le soldat Botillon ne comprend pas grand chose. Il sait seulement qu’il est là, transi de peur et de froid, à guetter la mort. Il n’a pas vingt ans, et sur sa veste, sa fiancée lui a cousu une médaille d’or et gravé leurs initiales, preuve d’un amour que rien, pas même leur séparation, ne peut ébranler. Un siècle plus tard, dans un jardin surplombant des rails de RER, des enfants combattent. Leurs armes sont des arcs de fortune, leurs armures, de vieux casques de mobylettes. De l’histoire de leur arrière-arrière-grand-père, le soldat Botillon, ils n’ont que faire, préférant défier les voisins, les « ennemis ». Mais l’incroyable découverte qu’ils vont faire changera à jamais leur perception de la guerre.

Le roman mêle deux récits, celui de Noël Botillon et de son arrière-arrière-petit-fils. Ce dernier raconte la réunion de famille organisée pour les cent ans de l’aïeule, la fille du soldat Botillon. Celle que tous surnomment « Grand-Mamie » n’a jamais connu son père, porté disparu dans les combats. Elle s’appelle Avril, comme le mois qui l’a vu naître, faute d’avoir trouvé un prénom. Cent ans plus tôt, son père raconte son quotidien au front. Pour lui la guerre se résume « à se balancer des bouts d’acier d’un côté à l’autre, en les faisant péter avec de la mélinite ». Écrasé de fatigue, il vit au rythme du café tiède, de la rumeur, et du courrier. Grelottant dans sa tranchée, le jeune homme songe au passé et à ses proches, laissés derrière lui, et surtout à sa fille, qu’il n’a jamais vue, s’interrogeant surtout sur la nécessité de ce combat.

Chapitre après chapitre, avec une égale ferveur, Hervé Giraud mélange ironie et gravité. De manière intime et dépouillée, il raconte 14/18 comme s’il y était, et donne à ce roman une force, un souffle inattendu. Sous sa plume, la guerre, cette « fête foireuse », ce « joyeux hasard mortel », devient brutalement réalité. Tapis dans les tranchées, les hommes ne sont plus que des bêtes, sales et désespérées, et sur leurs vestes, de la boue, du sang, des larmes, de la pisse, fruits de l’horreur et de la peur. Et puis cet espoir incompréhensible, cet attachement à la vie, lorsque le soldat reçoit une lettre et qu’un rayon de lumière perce l’épais brouillard. Difficile à lâcher, mieux qu’un cours d’histoire, le roman nous décrit les conséquences que la guerre peut encore avoir sur une famille, des années après. Il nous montre surtout qu’il est inutile de parler aux enfants avec cette petite voix puérile et agaçante, et qu’il est aussi vain de les considérer comme des choses fragiles et hypersensibles. Non, Giraud les estime en adultes, leur décrivant la guerre comme elle est, cruelle et inhumaine.

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