Le miroir brisé
Jonathan Coe

Illustrations de Chiara Coccorese
Traduction de Josée Kamoun
Gallimard Jeunesse
février 2014
112 p.  12,50 €
ebook avec DRM 8,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu
coup de coeur

Jonathan Coe pour les ados (aussi)

« Expo 58 », le dernier roman de Jonathan Coe, est sorti en librairie le 13 février. Mais cette parution dont on parle beaucoup, en cache une autre, et pas des moindres : son premier récit pour la jeunesse, « Le miroir brisé ».

A l’âge de 9 ans, Claire, petite fille unique et très solitaire, trouve un fragment de miroir, en forme d’étoile irrégulière, dans une déchetterie, au fond de son jardin. L’enfant comprend tout de suite que ce miroir ne reflète pas la réalité. Bien au contraire, et c’est là toute la force du conte : il l’embellit. Chaque fois que la fillette plonge ses yeux dans la surface polie, elle ne peut que s’émerveiller du reflet qu’elle lui renvoie: sa maison se transforme en immense château de coquillages, sa chambre donne sur une mer bleu azur, son lit devient baldaquin, sa peluche, un véritable tigre. Et cette découverte magique en cache une autre, bien entendu : elle est la seule à voir toutes ces choses fascinantes. Dès lors, elle s’attache à ce miroir qui lui permet de rêver sa propre vie. Au fur et à mesure qu’elle grandit, le reflet se fait un peu plus net. Mais blotti au creux de sa paume, enveloppé dans un tissu de velours vert, le miroir continue de réfléchir une réalité idéale et cent fois plus belle. Caché dans le tiroir de sa table de nuit, ou bien au fond de sa poche, toujours à portée de main, l’objet change peu à peu la vie de Claire. Comme si elle avait un pouvoir sur le monde qui l’entoure…
Ce récit est un conte, mais Claire n’est pas une princesse. Héroïne écrasée par la solitude, elle a des difficultés à vivre en société, et elle s’accroche à son objet fétiche comme à une bouée de sauvetage. À défaut de vivre sa vie, qu’elle trouve laide et bien triste, elle s’offre une cure d’utopie à travers un miroir qui transcende la réalité. Elle a des boutons d’acné ? Qu’importe, son visage dans la glace irradie de beauté. Ses parents divorcent ? Mais non, elle les voit ensemble et amoureux, à la terrasse d’un café. Le garçon qu’elle aime en secret embrasse sa pire ennemie ? Pas du tout, c’est bien elle, blottie dans ses bras ! Surréalistes, les images presque photographiques de Chiara Coccorese illustrent d’ailleurs à la perfection, le monde du rêve. Elles nous guident à travers les chimères, et mettent des couleurs dans cet univers innocent, envoûtant. Un récit nourri d’illusions, jusqu’à la fin, extraordinaire et surprenante.
Plus que l’utopie, ce conte moderne, universel et même politique, traite aussi des sujets actuels qui nous touchent : de la difficulté de passer de l’adolescence à l’âge adulte, des relations parents-enfants, de la cruauté de la vie, des chagrins d’amour, de l’amitié, de la solidarité. On ne peut que se prendre d’empathie pour cette héroïne désœuvrée, à l’imagination débordante ; on la comprend, même : si nous avions, nous aussi, au fond de notre poche, un miroir magique, nous serions guidés par la même envie, irrépressible, de se mirer sans cesse dedans. Claire nous apprend à voir la vie non pas comme elle est, mais comme elle pourrait le devenir. Avec « Le miroir brisé », on se prend à rêver d’une réalité sublimée, ou pour le dire autrement, d’un monde meilleur.

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