Les Contes défaits
Oscar LALO

Belfond
roman
août 2016
224 p.  18 €
ebook avec DRM 5,99 €
 
 
 
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coup de coeur nuit blanche

Les contes défaits

Le décor est planté dès le premier chapitre, notre narrateur a soixante-cinq ans et veut enfin trouver un équilibre. Il lui manque une pièce dans le puzzle de sa vie, il veut juste la trouver, rien d’autre, pour rendre une justice et surtout ne pas devenir bourreau. « Affronter son passé pour comprendre son présent et espérer éclaircir son avenir » Lorsqu’il était enfant, il était coutume de l’envoyer avec son frère à chaque vacance en « colonie », oh non pas « Les joyeuses colonies de vacances » chantées par Pierre Perret. Oh que non, même si les parents le pensaient car comme c’était cher , c’était donc bien ( le pouvoir de l’argent !) mais aussi la brochure qui idéalisait l’endroit montrant entre autre de copieux petits-déjeuners croissants, jus d’orange. Encore un miroir aux alouettes, le petit-déjeuner se prenait en fait serré sur un banc parfois à 35, des tartines énormes, dures, badigeonnées de fraise, le tout mouillé par un thé ou un chocolat. C’est âgé de dix-huit mois que tout commença pour notre narrateur, d’abord l’abandon à la gare, un long voyage en train, l’arrivée au « home » (sweet home, ah non pas du tout!- c’est ironique car c’était tout le contraire, et le voyage avec l’homme « des enfants ». « Ce sont nos parents qui nous conduisaient au train. Á qui se plaindre quand c’est la police qui vous livre ? » La directrice : dominatrice, tyrannique, pernicieuse, elle contrôle tout, gère tout. Le home : c’est la « sodomie matinale » avec le thermomètre coupable, si 37, 4 ° on est considéré malade ! c’est l’obligation de « faire dans le pot » devant tout le monde après le repas c’est la promenade obligatoire c’est ne pas courir, ne pas salir, se taire, ne pas crier, ne pas être en sueur… c’est la directrice qui souffle les réponses au téléphone, il fait toujours beau, tout va toujours bien. c’est la directrice qui dicte les courriers « La version orale des lettres que nous leur envoyions authentifiait nos propos et détruisait d’autant la vérité qu’ils ne pouvaient plus comprendre. » Bref elle domine et impose la terreur. Mais ce n’est pas le pire ! Le pire c’est l’homme des enfants : le loup dans la bergerie, celui que l’on croit ami car il est doux, il console, il caresse, et touche les enfants, c’est pire car c’est indicible, innommable , comment se plaindre, en parler ? C’est la loi du silence. Septante-neuf courts chapitres abordent ce sujet sensible et douloureux dont Oscar Lalo nous parle avec énormément de pudeur. Il est économe des mots, concis, direct. Il joue et détourne avec élégance les mots. « Pourvoyeur de plaisir pour voyeurs. Un viol de nuit sans Petit Prince. Les contes défaits etc … » Son style est direct. Sa plume sobre, subtile et travaillée. Il dit sans dire. Il verbalise cette quête de justice et explique comment le narrateur a été « défait » comme ses contes. Un récit touchant, douloureux, indispensable. Un premier roman dont on ne sort pas indemne. Un petit bijou. Ma note : ♥ Les jolies phrases Elle nous apprit en une seconde : qu’à ne pas le choisir, on accepte qu’un autre choisisse l’autre. Nous étions sous pression. Rêver sur une chaise, dans un livre, sur un puzzle, ou marcher sans but précis, c’était risquer le surgissement du loup, du chien ou de leur maîtresse. On n’y comprenait rien. Mais cette famille intérimaire nous bousculait tellement que toute notre énergie passait à rétablir notre équilibre.Leurs gestes, par exemple. La directrice nous frappait et l’homme nous caressait. Si à l’oeil nu, la carence affective ne se voit pas, la carence alimentaire, elle crève les yeux. Et être proie revenait à tendre la joue. Pour une claque ou une caresse. La seconde laissait plus de traces. J’étais devenu sans m’en apercevoir celui qui ne dit plus jamais non à rien. A la fois acteur principal d’un film de figurants et spectateur de ma propre impuissance, je charriais des flots de violence contre moi. Ainsi mon problème n’est-il pas de n’avoir rien construit dans ma vie, mais d’avoir systématiquement tout détruit. Dire un seul mot, ce serait tout dire, donc perdre un ami. Alors pour le garder, cet ami, nous ne bronchions pas et devenions notre pire ennemi. Cette quarantaine volontaire joignait dangereusement deux ingrédients : la douleur et la haine. Á ceci près que l’explosion n’avait lieu que des années plus tard. Les dommages décimaient alors l’entourage, indemne jusque-là. Avant cela, douleur et haine consumaient la mèche qui brûlait tout l’intérieur. La décomposition qui en résultait affaissait tout l’organisme sans relâche. Haine et douleur se relayaient pour redoubler une tension d’autant plus sourde qu’on n’éclatait toujours pas. Ils ressemblaient tous à des nuages. Mais des nuages d’un genre particulier. De ceux qui ne pleuvent jamais. C’est comme une tache que l’on constate sur soi et qu’on peine à relier à un événement précis alors qu’elle a forcément une origine. Car un attouchement va plus loin que l’acte lui-même. Il creuse une plaie dans l’eau de mer, qui ne peut que s’élargir. Pourquoi donc la soumission ? Pourquoi n’avons-nous jamais dit « Non ! », juste pour voir ? Le mariage de l’incertain et de l’anodin : c’était ça le home. Les bons moments qui passent de promesses à sévices. Vos bourreaux qui vous délivrent. Bref, la menace perpétuelle du naufrage sur mon lit-canapé. J’ai plusieurs professions pour éviter de penser. Je suis sportif et musicien, cinéphile et mélomane. Je me suis inventé mille vies car je n’en vis aucune. De fait, les abus commis sur l’infant n’existent pas puisqu’à moins de six ans, on est pénalement irresponsable. On n’a pas l’âge de raison. Traduisez : on a toujours tort. Les actes n’existent pas. Preuve en est : on ne peut pas vous frapper d’une peine. Vous êtes déjà condamnés à vie. Ainsi, par un effet pervers prévu pour les pervers, un mur d’impunité entoure toute exaction commise sur un trop petit enfant ; puisqu’il ne peut pas être coupable, il ne peut pas être victime. Quand on a voué sa vie à se nier, peut-on seulement s’entrevoir au kaléidoscope dont le jeu de miroirs angulaires émiettera notre reflet ? Mon testament est simple. Il tient en trois mots : je vais vivre. Je veux vivre. Je meurs de m’y mettre. L’enjeu : ne pas vivre à l’envers. Peau d’âme, noire neige, le petit poussé, bref, tous ces contes défaits. On m’a privé d’enfance comme d’autres de dessert. Sauf que l’enfance, c’est l’entrée et le plat principal. Á cause de l’homme d’enfants, je suis un homme enfant. Un bon mensonge vaut mieux qu’une mauvaise vérité.

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Home d’enfants pour homme d’enfants

« Ce qui m’st arrivé ne m’est pas arrivé. Ce que je sais, c’est que c’est arrivé à d’autres, et qu’eux non plus ne le savent pas. Ma vie est un conte qui n’existe pas. Un conte inventé qui, depuis, me hante. Un conte impossible : ni fée, ni citrouille, ni carrosse. Un conte vide. » D’une écriture pudique, presque distanciée et avec beaucoup de délicatesse, le narrateur raconte l’indicible, dont il ne s’est jamais remis. « On croyait que notre mère savait tout et ne tarderait pas à apparaître, elle qui nous disait si souvent : « Une maman ça voit tout. » Non. Et l’homme le savait. Il lui suffisait de faire bonne figure à la gare. Son innocence naturelle séduisait. Les Thénardiers ne ressemblent jamais aux Thénardiers. « L’araignée commence par tisser sa toile. » Ces vacances qui auraient dû être une fabrique à beaux souvenirs ont détruit le narrateur et beaucoup d’autres petits garçons, presque tous en fait. Oui l’araignée tissait bien sa toile et la mère laisse partir ses enfants avec plaisir. « Ce sont nos parents qui nous conduisaient au train. A qui se plaindre quand c’est la police qui vous livre ? » Le pire c’est que cela se reproduisait à chaque séjour et que les « anciens » devenaient des « dominés-dominants ». « Dans un monde réel, mon silence me condamnait à une peine théoriquement égale à celle des autres participants. Mais nous savions tous que le monde du home s’appuyait sur la non-assistance à enfants en danger. » Le narrateur est détruit. « Je suis sans fondation. Ils m’ont bâti sur du néant. Je suis un locataire du vide, insondable et sans nom, qui m’empêche de mettre le mien. Raison pour laquelle j’endosse à l’envie n’importe quelle identité. La mienne, je l’ignore. Dans les deux sens : je ne la sais ni ne la veux. Je joue mieux la vie des autres. » La construction du livre, chapitres courts, phrases courtes, pas de pathos, juste des mots, des ellipses qui parlent de l’indicible sans jamais le montrer, sans jamais le décrire. Pas de voyeurisme dans ce livre, tout est suggéré et ce n’en est que plus fort. Dans le livre, la colonie de vacances s’appelle home d’enfants jeu de mots terrible avec l’homme d’enfants. « On m’a privé d’enfance comme d’autres de dessert. Sauf que l’enfance c’est l’entrée et le plat principal. A cause de l’homme d’enfants, je suis un homme enfant. Un enfant trop grand et un homme trop petit. » Les petits garçons n’avaient pas de fées à leurs côtés dans ces contes défaits Un superbe premier roman qui prend aux tripes, qui fend le cœur, mais qui est d’une dignité exemplaire. La couverture de ce livre est très parlante ; Le gamin se « défait » de la tête

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Une vie en pointillés…

A vrai dire, je ne m’attendais pas du tout à découvrir une histoire aussi terrible : est-ce le mot « conte » qui me laissait imaginer tout autre chose ? Ma surprise n’en a été que plus forte lorsque j’ai découvert un narrateur détruit, vide, un homme incapable de devenir un adulte, ne sachant ni aimer ni être aimé. « Je suis sans fondations. Ils m’ont bâti sur du néant. Je suis un locataire du vide, insondable et sans nom, qui m’empêche de mettre le mien. » Quel événement est à l’origine de cette impossibilité d’être ? Alors qu’il était enfant, le narrateur partait en vacances dans un « home », espèce de colonie de vacances sur laquelle régnait en maître une femme-tyran qui terrorisait tous les gamins en imposant des lois absurdes : ne pas courir, ne pas sauter, ne pas se cacher, ne pas parler, ne pas crier, ne pas se salir, ne pas tomber malade, ne pas être en sueur… Evidemment, ce n’est pas tout à fait comme cela qu’un enfant imagine ses vacances mais il vaut mieux se taire que d’être frappé. Cependant, le pire n’était pas la femme mais l’homme, le mari de la Thénardier : lui ne frappait pas, il caressait, longtemps, trop longtemps… Mais, comment peut-on se plaindre d’une caresse ? Il était si gentil, ce directeur, il écoutait les enfants, les réconfortait. Lui, au moins, on pouvait le tutoyer. Alors, les enfants abusés se taisaient pour ne pas lui faire de la peine. Si dans les contes, les méchants sont les méchants, la réalité s’amuse à brouiller les pistes… Derrière le berger, se cache peut-être le loup… Alors, quand la main de la mère lâche celle de l’enfant au moment de monter dans le train, c’est la panique : « Ce sont nos parents qui nous conduisaient au train. A qui se plaindre quand c’est la police qui vous livre ? » Les parents n’y voient que du feu : la brochure vantant les mérites du « home » présentait les enfants attablés devant jus d’orange, croissants et pots de confiture. Et puis, « c’était cher, donc ça soulageait la conscience de nos parents qui se débarrassaient d’autant plus aisément de nous. » Malgré quelques tentatives d’opposition, l’argument parental tombe comme un couperet : « « Tu comprends, y a rien à faire. » C’était vraiment ça la force de ce lieu : nos parents n’avaient rien à faire. Ils étaient comblés. Quant à nous, dès lors que nos parents n’avaient rien à faire, nous n’avions rien à dire. » Mais à soixante-cinq ans, le narrateur, seul face au puzzle de sa vie, constate qu’il lui manque une pièce. Et pourtant, apparemment, il a, comme on dit, « réussi sa vie ». Apparemment seulement, car à l’intérieur, tout est creux, tout est vide. « Je suis un post-it qui ne colle plus. » Pas d’identité réelle, une vie qui consiste à faire semblant, à imiter, à s’agiter. « Je me suis inventé mille vies car je n’en vis aucune. » Il est un homme « éparpillé » comme le suggère le dessin de la couverture où l’on voit une tête qui semble s’effriter en une multitude de points. Son unité est perdue. Il est « défait » au sens militaire du terme, vaincu, écrasé. L’enfant abusé est en morceaux, en pièces. Adulte, il restera comme émietté en dedans. Seule l’écriture peut encore l’aider : « Et c’est ainsi qu’en calligraphiant la laideur, j’ai tracé des lignes de vie que je ne connaissais pas. » Minces lignes de fuite pour quelqu’un qui a besoin de dire son passé, de nommer ce qui l’a détruit. Un texte très fort, écrit avec beaucoup de pudeur et de retenue : en effet, tout est suggéré, murmuré, parfois même comme dissimulé derrière des jeux de mots qui sont autant de feux de détresse tirés à l’horizon d’une vie gâchée par des gestes déplacés, des parents aveuglés et égoïstes, un entourage absent. Un sujet sensible traité avec beaucoup de délicatesse…

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