Madame, dite Mad, a bientôt 80 ans. Ancienne comédienne ayant connu un beau succès, elle s’est, après son retrait des planches, installée dans une grande maison de Cornouailles, avec sa petite-fille Emma, ses 6 fils adoptifs, âgés de 3 à 18 ans, ainsi que Dottie, sa costumière reconvertie en cuisinière. Excentrique, têtue, régnant sur son petit monde, Mad n’a pas sa langue dans sa poche, au grand désespoir parfois d’Emma. Lorsque l’Angleterre décide de quitter le Marché Commun et de s’allier aux États-Unis, la vieille dame ne voit pas les choses d’un très bon oeil. Il faut dire que la décision ne fut prise que par les hautes sphères et imposée à la population sans la moindre consultation préalable ou signe avant-coureur. Il faut dire, également, que pour prévenir toute velléité de contestation, les Marines US, avec l’appui des autorités anglaises, ont débarqué en masse le long des côtes, donnant à cette région de Cornouailles un air quelque peu assiégé. Les choses ne vont pas en s’améliorant, notamment suite à la disparition d’un caporal, et Mad décide alors d’entrer en résistance, entourée de ses fils et emmenant à sa suite les fermiers des environs.
C’est un récit que l’on pourrait qualifier de roman d’anticipation, fort différent de ce qu’était Rebecca. J’avoue avoir eu du mal à y entrer et avoir traîné durant les premiers chapitres. Mais après… Après, la tension monte, petit à petit. Alors que le téléphone est coupé, que les habitants doivent franchir des barrages routiers, que bientôt les vivres et l’eau sont rationnés, Daphne du Maurier nous met mal à l’aise, instillant dans notre esprit les mêmes doutes que dans celui d’Emma : est-ce une invasion? Les alliés de toujours sont-ils donc réellement venus pour occuper l’Angleterre? Une telle chose pourrait-elle se produire au nez et à la barbe du gouvernement, complice malgré lui des agissements de l’armée américaine? Comment la population va-t-elle ou doit-elle réagir?
Malgré tout, le ton reste divertissant, grâce au caractère de Mad, aux facéties des garçons, et à la large présence de l’humour et de l’ironie. Envisager Mad voyant sa Cornouailles transformée en sorte de parc historico-touristique, où les gens du cru, vêtus de costumes moyenâgeux, accueilleraient des charters entiers de Californiens (tout cela pour lutter contre le chômage : c’est qu’ils ont tout prévu, là-haut), c’est plutôt savoureux. Cela n’empêche pas Daphne du Maurier de nous pousser à la réflexion à travers sa vision des médias, du pouvoir (en ce compris celui de l’argent), ou encore des réactions des uns et des autres.
Alliant l’humour et la réflexion critique, ce roman m’a permis de retrouver la plume de Daphne du Maurier là où je ne l’attendais absolument pas. Et j’ai envie de dire que la dame a bien fait d’oser !