Candidat à l’investiture républicaine et ancien animateur de The Apprentice, Donald J. Trump navigue entre conseils de management et considérations personnelles. C’est le moment incontournable et solennel du débat des primaires républicaines, celui où l’homme d’affaires Donald Trump, Donald Drumpf pour l’humoriste John Oliver, doit se présenter. A cet instant précis, il ne peut s’empêcher de commencer l’échange par « Mon nom est Donald Trump. J’ai écrit The Art of the Deal qui s’est vendu à un million d’exemplaires ». Le ton est donné, l’homme n’est pas seulement un homme d’affaires chevronné, un tribun tumultueux ou le pourfendeur d’un système politique à bout de souffle mais il est également un écrivain éclairé qui a fait de son business un art avec un A majuscule. Au moment où l’homme redessine l’échiquier politique américain en étant en prise directe avec l’électorat conservateur, il convient de mieux comprendre l’animal politique qu’est devenu Trump au travers de l’entrepreneur qu’il était en dans les années 80. Le goût acidulé des années 80 Trump mentionne son livre très fréquemment et le classe parmi ses plus belles réussites entre la Trump Tower et son rôle dans The Boss, show de téléréalité qui l’a fait connaitre du grand public grâce au slogan « vous êtes viré ». Dès sa publication, The Art of the deal est entré directement en tête de la liste des best-sellers du New York Times et, avec un million d’exemplaires vendus, y est resté pendant 51 semaines. En son temps, ce livre a été un véritable phénomène littéraire se classant entre « Le Monde selon Garp » de John Irving la méthode d’aérobic de Jane Fonda. Quelle que soit sa place dans la mythologie personnelle de Donald Trump, « The Art of the Deal » est une fascinante machine à remonter le temps qui nous plonge directement dans l’Amérique flashy des années 80 et dresse le portrait d’un baby Reagan aux nombreuses réussites entrepreneuriales.
Ce livre n’est pas à proprement parlé un précis de management mais plutôt une sorte de fourre-tout mêlant anecdotes sur ses transactions immobilières, la promotion de son équipe de football et, sur le ton de la confidence, quelques aspects de sa personnalité. Family man, gouailleur et jet-setter Le Trump qui se dégage de The Art of the deal est un personnage beaucoup plus apaisé, plus chaleureux, et probablement plus heureux que l’homme qui domine les débats aujourd’hui. Il s’y dépeint comme un oncle aimant, un enfant respectueux, un père attentif passant des matinées à inspecter les salles de classe de ses enfants, et un mari follement amoureux de sa femme Ivana. Quand Ivana rencontre Donald Trump en 1976, elle n’est encore que top model mais lui a déjà hérité de l’empire immobilier paternel. Ils se marient rapidement et deviennent le couple incontournable de la jetset new-yorkaises. Rien n’est impossible les Trumps : triplex sur avec vue sur Central Parc, Boeing privé, garde-robe d’un demi-million de dollars par an. Entouré de luxe et de courtisans, Trump semble se rendre compte qu’il vit une vie absurde et souligne que «contrairement à ce que les gens pensent, je n’aime pas particulièrement étaler ma vie personnelle dans la presse». Le ton du livre est souvent léger, parfois ironique. Alors qu’aujourd’hui Trump revendique une filiation naturelle avec les grands mouvements évangélistes, dans les années 80 il comparait l’Eucharistie à un Cracker et l’archevêque de New York à un « homme d’affaires avec de grands instincts politiques ».
En homme de réseaux Trump en action est avant tout un homme d’influence qui sait opportunément basculer de gauche à droite et remettre la balle au centre de ses intérêts. Pour mener au mieux ses affaires, il démarche, discute, dialogue, négocie, manipule et affronte. Même un franc-tireur a besoin des autres pour mettre en place ses onze principes le mènent vers le succès. Considéré comme le promoteur immobilier qui a redessiné Manhattan en s’alliant avec la mafia, il porte alors la communication à des niveaux rarement atteints en bousculant les règles. On connaît le talent de Trump pour les relations publiques, c’est un des premiers patrons à avoir compris l’impact de sa propre médiatisation tant au niveau interne qu’externe. Ses employés sont portés par son talent, ses actionnaires sont fiers d’être à ses côtés, Trump devient sa propre marque. L’Art de la guerre Pour Trump le succès n’est possible que pour ceux prêts à mener une guerre totale. Quand quelque chose se trouve dans son chemin, il avance avec tous les moyens possibles. Il poursuit en justice, manipule l’opinion publique, va chercher le soutien des politiques voir des syndicats et tape sur ses les concurrents de toutes ses forces. Outsider en guerre contre la puissante NFL, il attaque la puissante institution pour abus de position dominante dans le seul but d’augmenter la notoriété d’une équipe quasi-inconnue qu’il venait de racheter. Pour Trump, la rage favorise la victoire et suivant les préceptes de Sun Tzu, l’essence de la guerre psychologique réside dans la multiplicité des angles d’attaque destinés à déstabiliser l’adversaire et emporter la victoire.  Ce dernier point est, je pense, celui qui transparait le plus du personnage et aide à comprendre son ascension politique. Cet homme écrit comme il pense, pense comme il parle. Il pense grand, voit loin et n’a aucune inhibition. « La plupart des gens pensent petit, parce que la plupart des gens ont peur du succès, peur de prendre des décisions, peur de gagner », écrit-il. « Et cela donne pour des gens comme moi un grand avantage (…) je ne reste pas concentré sur une opportunité ou une approche. Comme un jongleur je lance un maximum de quilles en l’air et si je n’en rattrape qu’une, elle me rendra riche ». Même si sur la forme le Trump de 1987 est très loin de celui de 2016, sur le fond l’ambition est la même : contrôler et savoir profiter des opportunités. On peut continuer à s’interroger sur le personnage mais on ne peut nier que, comme Sarah Palin en 2008, le favori à l’investiture républicaine est devenu le champion incontesté de la culture populaire du moment par force et opportunisme plus que par conviction. Tout était déjà écrit dans « The Art of the Deal », à lire sans préjugé ni a priori.
NB. Ce livre n’existe pas en français.