Réparer les vivants
Maylis de Kerangal

Folio
janvier 2014
304 p.  8 €
ebook avec DRM 7,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

o n l a l u a é l u « Réparer les vivants »

Nous avons eu plus qu’un coup de cœur pour le livre de Maylis de Kérangal « Réparer les vivants ».   Lisez l’entretien que nous a accordé l’auteur et écoutez Pascale Frey parler du livre. 

Pascale Frey parle de « Réparer les vivants »

  

 MdeK2bis  

lire notre rencontre avec l’auteur

Lire également ICI notre critique de l’adaptation cinématographique réalisée par Katelle Quillevere 

 

 

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 Les internautes l'ont lu
nuit blanche

Suis admirative en refermant ce livre.
Pour l’auteur qui a eu l’idée de ce livre et l’a mené à bien de manière magistrale.

Un hymne à la vie, aux donneurs d’organes, aux équipes qui en assurent le prélèvement et la transplantation.

Un merci aux donneurs
Un encouragement aux receveurs.

Un roman mené de main de maître au style vif, où l’émotion affleure, et où l’attention ne se relâche jamais.
L’impression que Maylis de Kerangal a écrit son roman comme Thomas Remige a conduit les opérations de transplantation, au taquet.
Le ton est juste, le rythme tantôt lent lorsqu’il s’agit d’accepter la souffrance, tantôt rapide lorsqu’il s’agit de relever le défi de la vie.

Bouleversant, ce livre marque à jamais.

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coup de coeur

de la mort à la renaissance

Ce livre est ancré dans un lieu unique, celui d’un hôpital, lieu de vie et de mort, presqu’un huis clos. Dans les livres précédents, il y avait déjà cette unité de lieu. Un pont (Naissance d’un pont), un train (tangent vers l’Est), un quartier de banlieue (Pierre feuilles ciseaux). Dans ce nouveau décor, Maylis de Kerangal déroule ses phrases, se sert des mots comme d’une couverture qui nous enveloppe pour mieux nous pénétrer et nous épargner. Chaque instant est ancré dans son environnement, dans son temps. Le temps, l’urgence, choses primordiales lorsque l’on accepte le don d’organes de son enfant en état de mort clinique. Le cœur est omniprésent. Que ce soit celui du jeune garçon, celui des parents, celui de l’hôpital, celui de la receveuse, celui des soignants et l’écriture bat au rythme de ces pulsions. Maylis de Kerangal par ses mots, met le doigt sur la douleur de la perte, le cheminement vers l’acceptation du décès puis du don. La tension est palpable, très bien rendue, presque l’impression d’écouter battre les cœurs des chirurgiens, malades, intervenants… Oui, les mots, le rythme des phrases sont importants. Ils donnent de la retenue au texte et ne cherchent pas à faire pleurer dans les chaumières malgré le sujet tragique de la mort du fils. En me relisant, je vois que j’ai souvent écrit « mots » et « cœur ». je ne renie rien car c’est ce qui m’a le plus frappé et ce que j’ai le plus apprécié dans ce livre. Les mots y sont passeurs de la vie et le livre a son propre rythme cardiaque. Un roman extraordinaire puisque de la mort naît une vie. Un coup de cœur.

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Un éblouissement

Le malheur peut arriver brutalement, avec la force d’une lame de fond. Dans cet ouvrage qui commence par une séance matinale de surf entre copains, on craint d’emblée le pire avec ces vagues et par ce froid d’hiver. Mais c’est plus tard que l’irréversible arrivera : un terrible accident de voiture avec une jeune vie fichue en l’air.

Je ne connaissais pas Maylis de Kerangal avant d’ouvrir ce livre, un peu par hasard. Il ne m’a pas fallu trois pages pour tomber sous le charme d’une écriture imagée, poétique en même temps que cinglante et glaciale comme ces journées de froidure qui enveloppent l’histoire de cette mort insupportable.

L’écriture brillante, âpre et coupante parfois, mais le plus souvent étincelante, trouve sa subsistance dans un combat non pas entre la vie et la mort, mais au contraire entre la mort déjà certaine et la perspective d’une vie, si ce n’est à sauver, du moins à prolonger.

Comment peut-on accepter de donner un organe de son enfant mort ? Doit-on même envisager de l’accepter ? C’est le terrible dilemme auquel se trouvent confrontés des parents désemparés par la mort impensable de leur fils et d’emblée captifs de cette réponse qu’ils doivent fournir au corps médical qui attend.

À côté des parents, plusieurs personnages se débattent dans cette attente insoutenable. Parfois inquiétants mais le plus souvent attachants, ils œuvrent dans l’atmosphère oppressante qui enveloppe les décisions vitales. Le temps presse et sans plus penser au mort ils braquent toute leur énergie vers l’exploit technique dont une greffe d’organe est toujours le résultat. Il faut agir, aller vite, vaincre le temps, les aléas, le tout sans états d’âme.

Servi par une construction minutieuse en même temps qu’implacable, ce roman remarquablement documenté aboutit au même exploit que ses protagonistes. Et le lecteur reçoit la greffe de cette éblouissante écriture comme un don du meilleur de l’auteur. Une autre façon de réparer les vivants…

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coup de coeur

Réparer les vivants, épargner ceux qui restent…

Difficile critique que celle-ci…
J’ai lu Réparer les vivants, presque d’une traite, en apnée, à bout de souffle. Je l’ai lu en prenant mentalement note de ce que je voulais en dire. Et puis… Et puis le lendemain, les soins intensifs, les vrais. Un lieu où l’on voudrait ne jamais mettre les pieds, surtout pas pour une personne si proche. Depuis, le blocage, la panne, l’insomnie et la marche au radar. La panne de lecture, l’impossibilité de me concentrer sur un livre quel qu’il soit. La panne de carburant pour raconter ce roman qui m’a pourtant tellement marquée, touchée. C’est un vrai coup de cœur, et je cherche les mots qui pourraient le dire. Alors cette critique sera certainement décousue, subjective, pas très claire. Mais elle sera, malgré tout.

Simon avait la vie devant lui. Jeune, amoureux, amateur de surf, il est victime d’un grave accident de la route au retour d’une session matinale entre amis. Seul des trois à ne pas porter de ceinture de sécurité, il est rapidement déclaré en état de mort cérébrale. Pour ses parents, commence alors la pire épreuve qui soit, compliquée encore par cette situation particulière : comment admettre la mort de leur fils alors qu’il respire encore? Comment envisager de faire don de ce cœur qui bat toujours?

Le roman s’articule autour de la transplantation du cœur de Simon, même si d’autres organes seront prélevés. On découvre Simon, sa vie, ses amis, ses parents. On suit, durant 24 heures, l’effroi, l’incompréhension, le déni aussi, de ses parents et le début de leur travail de deuil. On assiste à l’action des médecins et infirmiers : examens et soins, bien sûr, mais aussi tout ce travail qui consiste à entourer, à expliquer, à préparer. Préparer les parents au fait que leur fils ne se réveillera pas. Les préparer à la question que l’on va leur poser, à la décision que l’on va leur demander de prendre au nom de leur enfant. Accepter qu’ils aient besoin de temps, de laisser s’exprimer chagrin et violence; qu’ils aient des limites, aussi.
Ensuite, on découvre l’autre versant : la receveuse potentielle, et son équipe médicale. Et là aussi, il s’agit de préparer et d’accepter. Préparer l’opération, le transport de l’organe, le suivi. Accepter l’idée de recevoir ce cœur qui ne sera pas tout à fait le sien mais pas tout à fait étranger.

Entre ces deux parties que l’on pourrait qualifier d’humaines, de relationnelles, Maylis de Kerangal se plonge littéralement dans l’aspect médical de son histoire. Elle est (et nous avec elle) dans la salle d’opération, elle se glisse entre les différents chirurgiens, chacun tentant de grappiller quelques millimètres d’espace et de matière afin de prélever plus facilement « son » organe, avant de l’apporter à son receveur.
Et lorsque le prélèvement est terminé, lorsque tous les organes sont en route vers d’autres hôpitaux, elle veille, par le biais de l’infirmier coordinateur des dons, à réparer celui qui n’est maintenant plus vivant, avec douceur et respect.

L’alternance entre les souvenirs, les réflexions et les scènes médicales, entre les moments tantôt lents et chargés d’émotions et tantôt plus rapides et instructifs, imprime un rythme au roman, permettant justement à ces descriptions médicales d’être instructives sans être rébarbatives. Le tout s’accompagne d’un vrai travail sur la langue, sur le rythme, sur le choix des mots et des verbes, au fil de phrases à la fois longues, denses et -parfois- poétiques. La maîtrise -du sujet et de la langue- est impressionnante. Et c’est d’une traite que j’ai lu ce roman, qui m’a tenue en haleine du début à la fin, durant environ 24 heures. Le temps de lire ce récit, plusieurs vies auront donc basculé, d’autres se seront coordonnées, comme dans un ballet bien réglé, pour que cette prouesse médicale (quand on y songe!) soit possible.

J’ai refermé ce roman avec cette phrase en tête : tentons d’épargner les vivants. Tentons d’éviter à ceux qui restent de devoir prendre eux-mêmes la décision du don, dans un moment où toute leur énergie, tout le temps dont ils disposent, devraient être consacrés aux adieux, au deuil, à resserrer les liens. Je n’ai pas pour habitude de faire de la pub ou du prosélytisme par le biais de mes billets. Mais une fois n’est pas coutume. Parce que c’est un sujet qui me tient à cœur, sans mauvais jeu de mots. Parce que j’avais 15 ans quand j’y ai été confrontée -tout à fait indirectement- et que cela m’a semblé, déjà, tellement naturel en même temps que tellement grave. Parce que dès que j’ai été en âge de prendre cette décision, j’ai choisi de faire les démarches nécessaires pour éviter à ma famille de devoir un jour y penser. Et même si, finalement, votre cœur, votre esprit, vos convictions disent « non », et bien que ce soit votre décision, qu’elle soit actée et ne repose pas si lourdement sur les épaules de votre entourage…

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coup de coeur

Réparer les vivants, rhapsodie contemporaine

Voilà le palais des ombres de Virgile et les étapes d’une transplantation cardiaque, voilà le chant funèbre de ceux qui sont foudroyés par la mort et l’ode pressée par le temps des acteurs de la transplantation, voilà la rhapsodie contemporaine que nous offre Maylis de Kerangal avec Réparer les vivants.

Simon Limbres, jeune surfer de dix-neuf ans, se retrouve en état de mort cérébrale suite à un accident au retour d’une session de surf, « à la recherche de la plus belle vague qui se soit formée sur Terre ».

Le chant choral est en marche, tout comme le chemin vers la transplantation des organes de Simon. La douleur des parents Marianne et Sean tout d’abord, leur incompréhension, leur révolte, leur lent chemin vers l’acceptation que la mort de leur enfant serve à réparer les vivants.

Le chemin des acteurs médicaux, ceux qui, avec délicatesse, accompagnent les parents endeuillés vers cette démarche impensable : utiliser le corps de leur enfant, le dépouiller de ses organes pour permettre que d’autres vies continuent.

C’est le rôle de Thomas Rémige le coordinateur assisté de l’infirmière Cordélia Owl.

« Ils parlent de leur fils au présent, ce n’est pas bon signe. Thomas poursuit : je vous pose ces questions car si la personne décédée, ici votre fils Simon, n’a pas fait connaître son refus de son vivant, si elle n’a pas exprimé son opposition, nous devons nous interroger ensemble sur ce qu’elle aurait souhaité – « la personne décédée, ici votre fils Simon », Thomas a haussé la voix et prononcé distinctement chaque mot, il enfonce le clou. Du consentement à quoi ? C’est Marianne qui a parlé, relevant la tête – mais elle sait, elle veut être clouée. Thomas déclare : du consentement au prélèvement de ses organes, afin de permettre des greffes – il faut en passer par la brutalité de ces phrases dépliées comme des slogans sur des banderoles, il faut en passer par leur charge massive, leur matière contondante, les entretiens où traînasse l’ambiguïté sont des nasses de souffrance, Thomas sait cela ».

Suivra ensuite toute la logistique et l’organisation de la transplantation cardiaque.

Nous assistons à un chant choral douloureux et palpitant dont la richesse, l’intensité et la vie nous roulent dans cette vague que recherchait tant Simon.

Les noms que l’auteur a choisi de donner aux personnages de son roman ne doivent rien au hasard. Simon Limbres, tout d’abord. A un r près nous sommes dans les limbes, le séjour où attendent les enfants morts, et ce r supplémentaire, c’est l’air qui manquera à jamais à Simon qui s’enfonce dans la mort. Mais Simon va conserver une partie de vie, remonter du séjour des morts en explosant la sienne comme autant d’éclats de miroir chez ceux à qui il rendra la vie.

La plupart des noms choisis dans l’équipe médicale participent de cette métaphore de la vie dans les airs : Thomas Rémige (les grandes plumes des ailes d’un oiseau, celles qui le maintiennent dans les airs) possède un chardonneret très spécial, capable de chanter le chant de tout un village. Quant à Cordelia Owl l’infirmière est doublement signifiante : par son prénom qui vient du latin cor, cordis qui signifie cœur et par son nom, Owl qui signifie hibou, en anglais. L’oiseau de nuit est d’ailleurs repris dans la dynastie de médecins, les Harfang (la chouette Harfang est un grand rapace) dont un des membres transplantera le corps de Simon alors que sa fille Alice aura assisté au prélèvement du corps :

« Alice s’attarde. Elle focalise la scène, dévisage un à un ceux qui sont réunis autour de la table et le corps inanimé qui en est le centre éclatant – La leçon d’anatomie de Rembrandt passe en un éclair devant ses yeux (…) elle finit par apprendre que percer la paroi péritonéale fut longtemps considéré comme une atteinte à la sacralité du corps de l’homme, cette créature de Dieu, et comprit que toute forme de connaissance contenait sa part de transgression (…). »

Un oiseau de nuit qui nous renvoie à cet obscur et sacrilège entre-deux de la transplantation. On dépouille un mort de ses organes pour permettre que la vie continue ailleurs. Tout se passe de nuit, « les équipes de prélèvement arrivent les unes après les autres à partir de vingt-deux heures ».

Ils allaient, obscurs, sous la nuit solitaire écrit Virgile dans l’Enéide. Et c’est bien du séjour des morts dont il s’agit, celui d’où les différents acteurs des prélèvements agissent dans la nuit car le tabou reste très fort. Le jeune interne chargé de prélever le cœur de Simon s’appelle Virgilio, comme le poète de l’Enéide. Il va participer à la greffe qui rendra Claire à la vie.

Thomas veille au respect des volontés des parents de Simon :

« On peut clamper ? La voix de Virgilio, haussée dans le bloc bien qu’étouffée par le masque, fait sursauter Thomas. Non, attendez, il a crié. Les regards se tournent vers lui, les mains s’immobilisent au-dessus du corps, bras cassés en angle droit, on suspend l’intervention tandis que le coordinateur se faufile pour accéder au lit, et s’en approcher à hauteur de l’oreille de Simon Limbres. Ce qu’il murmure alors, de sa voix la plus humaine, bien qu’il sache que ses mots s’abîment dans un vide létal, est la litanie promise (…), puis Thomas sort de sa poche les écouteurs qu’il a stérilisés, et les insère dans les oreilles de Simon, allume le baladeur, piste 7, et la dernière vague se forme à l’horizon (…) ».

Lorsque tout sera achevé, Thomas veillera à ce que le corps de Simon soit restauré dans son intégrité, il le fait en chantant, « Un chant ténu, à peine audible par celui ou celle qui se trouverait avec lui dans la pièce, mais un chant qui se synchronise aux actes qui composent la toilette mortuaire, un chant qui accompagne et décrit, un chant qui dépose ».

« (…) le chant s’amplifie encore dans le bloc opératoire (…) et, l’observant travailler, on songe aux rituels funéraires qui conservaient intacte la beauté du héros grec venu mourir délibérément sur le champ de bataille, ce traitement particulier destiné à en rétablir l’image, afin de lui garantir une place dans la mémoire des hommes ».

Avec Réparer les vivants, Maylis nous a offert, avec la puissance d’évocation et de style qu’on lui connaît, un choral contemporain jailli de l’antique. Magnifique.

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A la vie, à la mort, aux hommes.

C’est une histoire de cœur que nous raconte Maylis de Kérangal dans son dernier roman, Réparer les vivants. Une histoire de cœur comme on n’aimerait pas en avoir à vivre ni à souffrir. Une histoire de cœur injuste parce que l’un doit mourir pour que l’autre vive. C’est l’histoire d’une transplantation cardiaque. C’est moins poétique écrit comme ça ; pourtant, Maylis de Kérangal réussit à nous toucher, en plein cœur, mais sans pathos.

Ils sont trois au début du roman : trois jeunes gens encore adolescents du Havre qui n’ont que le surf et les filles en tête. Ils sont jeunes, passionnés par la vague, celle qui les fait se lever à six heures par un matin d’hiver pour s’offrir une session de surf dans l’océan glacial. Au retour de leur escapade, encore remplis des sensations fortes et de projets pour l’été qui vient, la petite camionnette que conduit l’un d’entre d’eux vient s’écraser contre un poteau. Celui qui ne porte pas de ceinture de sécurité n’en réchappe pas. Il s’appelle Simon Limbres. Conduit à l’hôpital en état de mort cérébrale, son cœur pourtant continue de battre. C’est là le paradoxe terrible que devront affronter ses parents et le lecteur : il est mort, mais son cœur est vivant.
On se retrouve alors dans un espace à part, clos, avec ses règles : l’unité de réanimation. Là, deux protagonistes interviennent, Pierre Révol et Thomas Rémige, les médecins qui vont être chargés d’annoncer l’inconcevable, la mort de Simon à ses parents, et de leur poser la question insoutenable de l’autorisation du prélèvement de ses organes en vue d’une transplantation. Tout est resserré comme dans une tragédie antique sauf qu’ici la mort n’est pas une fin. Dans le dédale de questions qui doivent se réduire à une seule réponse, les parents errent de colère en désespoir, de confusion en reproches dans un temps suspendu, et un lieu urbain qui semble porter le deuil ou d’où les vivants ont fui.
Chez Maylis de Kérangal, tout est affaire d’exactitude. La technique s’invite dans le domaine de l’au-delà, et l’auteur maîtrise son sujet et son style d’une précision clinique mais jamais dénué d’humanité. Celle-ci est encore plus frappante dans l’espace feutré et aseptisé de l’hôpital, que l’on pourrait croire endurci, mais qui s’inscrit au contraire pleinement au milieu des vivants. Les médecins ne sont pas des héros, le lecteur respire par la fenêtre laissée ouverte sur leur vie respective. L’un se passionne pour les plantes hallucinogènes qu’il expérimente sur lui-même, l’autre fait du chant une ascèse, qu’il vit comme une « exploration de soi », et l’infirmière de garde attend anxieusement toute la journée un coup de téléphone de son amant d’un soir.

Oui, la vie est bien là, mais elle a son cœur ailleurs, dans la conscience des personnages comme du lecteur. Elle est parfois en sourdine, en suspension, attendant un poumon, un rein, attendant que Simon meure pour se remettre à battre. Aux rites funéraires ancestraux se mêle la technologie de pointe, et les questions existentielles sont traversées par l’adrénaline. Maylis de Kérangal nous offre un roman d’une force irrésistible qui emporte le lecteur loin du rivage de ses certitudes et le ramène vivant mais secoué.

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coup de coeur

Le coeur à l’ouvrage

Alors que percent les premières lueurs de l’aube, trois jeunes gens roulent à bord d’un van, éreintés, vidés. La route s’étend devant eux, longue langue sombre. Le paysage défile de part et d’autre, à toute allure. Assis entre ses deux amis, Simon fixe droit devant. Dans sa tête résonne encore le bruit des vagues qui déferlent – béatitude – , cette eau froide et noire comme de l’encre glisse encore sur sa peau – frissons – il se revoit sur sa planche, en équilibre instable, filant dans la nuit, – sensations -.
Tangage de l’esprit, engourdissement du corps, palpitations du coeur…
Soudain, tout son être se soulève et vient heurter violemment le pare-brise – impact – . Rien ne le retenait. Pas de ceinture – silence – . Coma profond. Urgences. Déploiements de gens ; médecins, chirurgiens, infirmières, parents. Mort cérébrale. Il n’avait pas vingt ans.
Mais dans ce corps figé à jamais, coeur, poumons, foie, reins, organes vitaux précieux peuvent poursuivre leur travail dans d’autres corps – réparation – . Faire comprendre cela à la famille sans brusquer, trouver les mots justes, accompagner leur réflexion. Acceptation de la mort. Confiance envers le corps médical – acte de générosité – .
Puis, c’est l’accélération. Heures et minutes s’égrènent. Grande agitation. Course contre la montre. Il faut faire vite – coordination –. Une sonnerie de téléphone retentit à des centaines de kilomètres chez une femme dont le coeur s’épuise un peu plus chaque jour – angoisse –. Continuer à vivre avec le coeur d’un autre. Offrande d’un être que l’on ne connaît pas – don –.
Tension palpable mais maîtrisée. Des hommes et des femmes fatigués mais toujours debouts. Mécanique bien huilé, rouage connu. Relais parfaitement coordonnés.
Alors qu’il fait désormais nuit noir, un coeur en remplace un autre – transplantation –. Chacun s’affaire au-dessus de ce corps qui ne demande qu’à vivre. Les gestes sont sûrs. Mais on retient son souffle, pas de risque zéro. On attend… et voilà le premier battement de coeur, puis le second… la vie déferle à nouveau dans ce corps, en rythme, en cadence, comme les vagues qui ce matin même roulaient autour de Simon.
Bien au-delà d’un roman sur une transplantation cardiaque, Maylis de kerangal déroule un langage et une poésie, un réalisme parfois cru et une sensibilité à fleur de peau, et pénètre dans l’intimité de chaque personnage. On sent les vibrations de ces gens, leurs tumultes intérieurs. Elle nous laisse voir et sentir la vie, sa transpiration, sa respiration à travers un coeur qui bat, organe essentiel et emblème des sentiments les plus profonds.
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coup de coeur

Un livre coup de poing, souffle coupé.

Que subsistera-til, dans cet éclatement, de l’unité de son fils ? Comment raccorder sa mémoire singulière, à ce corps diffracté ? Qu’en sera-t-il de sa présence sur terre, de son fantôme ?

Je n’avais pas prévu de le lire. Seule, je n’aurais même pas été attirée par la couverture, peut-être même intimidée par le titre, je n’aurais donc pas parcouru la 4e de couverture. Mais ma libraire veillait ! « Tiens, ça parle de ton boulot; c’est incroyable, l’auteur se met dans la peau de tous ses personnages pour parler du don d’organe. »
Réparer les vivants
Comment résister ? Moi qui cherche à éprouver des émotions à travers mes lectures, j’ai été servie ! 280 pages, 24 H dans la vie des personnages, un livre qui se lit à 100 à l’heure.

Le jeune Simon Limbres (je me suis rendue compte au bout de quelques pages que je lisais: Limbes…) a un accident de voiture. Dix neuf ans, de retour d’un session de surf, c’est l’inévitable, l’inacceptable. Et tout s’enchaine : le transport à l’hôpital, le diagnostique, l’annonce aux parents. On découvre chacun des protagoniste jusque dans sa vie intime. En peu de mots, beaucoup de ponctuation, – ahhh, ces point d’exclamations que j’affectionne tant !- nous sommes tour à tour chacun d’eux: la victime avant qu’elle ne soit victime; la mère, le père; mais aussi la jeune infirmière sortant tout juste d’une nuit d’amour, le médecin réanimateur qui a un roman de Mary higgins clark dans son bureau, le chirurgien qui pédale le dimanche, l’infirmier coordinateur qui aime chanter, la receveuse au cœur en bout de course…

Combien de vies a eu l’auteur pour être chacun de ces personnage tour à tour ?
Combien de temps a-t-elle passé avec ces soignants qu’elle à l’air de si bien connaitre ?
Le don du coeur de Simon va prendre une ampleur encore plus symbolique, chargé du poids de la vie de tous ceux qui y prendront part. Et à la dernière page, on reprend son souffle. Et si ce n’est déjà fait, on se demande: et moi, je ferais quoi ?

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