Beaux rivages
Nina Bouraoui

Le Livre de Poche
août 2016
224 p.  7,90 €
ebook avec DRM 13,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Une histoire simple

Mettez-le cap sur ces « Beaux rivages » ou plutôt larguez les amarres, devrait-on dire puisque l’héroïne, A., se fait larguer, quitter par Adrian après huit ans d’amour. C’est une histoire simple, mais universelle, que nous raconte Nina Bouraoui. « Les larmes rassemblent davantage que les baisers », écrit-elle. Elle a raison : tout le monde se retrouve dans ce chagrin d’amour. Le roman s’ouvre après les attentats de janvier 2015 et s’achève avec ceux de novembre, si bien que la dévastation de A fait écho à celle du pays. A la tristesse s’ajoutent la colère, la souffrance, l’abattement, et le désespoir.

A. exerce le métier de voix off pour la radio et le cinéma à Paris. Adrian, lui, vit en Suisse. Quand elle reçoit son message disant « Je ne viendrai pas vendredi, j’ai besoin de liberté », A. comprend qu’une autre l’a remplacée. Elle cherche sur Internet la photo et l’adresse de sa rivale, découvre qu’elle tient un blog, et comprend grâce à lui qu’Adrian la trompe depuis longtemps. Impossible de s’empêcher de lire ce journal intime plusieurs fois par jour. Très vite cela tourne à l’addiction. A. tisse sur la Toile une toile qui les emprisonne tous les trois. Elle tente de mettre au point une stratégie pour s’extraire de ce piège. En vain. Elle finit toujours par se reconnecter et acquiert la certitude que sa rivale la nargue à travers ses photos et ses messages. Comme elle était tombée amoureuse, A. tombe de nouveau, dans une dépression qui ne dit pas son nom.

Nina Bouraoui cisèle ses phrases dans la douleur : « ma tristesse avait le coupant des couteaux », écrit-elle. Elle enjoint le lecteur de « ne jamais craindre les sentiments, ces rivages que l‘on accoste sans en mesurer le danger, ni la beauté ». Et file la métaphore marine tout au long de son livre. Cette jeune femme qui perd pied, manque de se noyer, puis tente de sortir la tête de l’eau, ressemble à chacun d’entre nous. Nina Bouraoui a voulu écrire un roman de résistance pour « tous les quittés du monde ». Il est réussi, et parvient même à nous faire aimer les chagrins. Un comble! Il se passe avec ce livre exactement comme avec les amours dont on sait la fin proche: on fait tout pour le faire durer, parce qu’on n’a pas envie de le quitter.

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nuit blanche

Beaux rivages, chronique d’une séparation

Pour cette chronique, j’ai choisi un angle particulier, celui de la bibliothérapie, un concept cher à Régine Detambel qui propose de soigner les maux par la lecture. En lisant Beaux rivages, je me suis en effet d’une part demandé si cela avait fait du bien à Nina Bouraoui d’écrire cette histoire et d’autre part si le roman peut aider le lecteur qui affronte un chagrin d’amour.
En refermant le roman, je crois pouvoir répondre oui à ces deux interrogations, car sans dévoiler l’issue de cette rupture entre A. et Adrian, on comprend l’universalité de ce parcours, les étapes plus ou moins difficiles qu’il faut traverser pour pouvoir s’en sortir. Dans un article, le magazine Psychologies – auquel j’emprunte les intertitres qui suivent – détaille les étapes à traverser. Des étapes qui constituent la trame exacte du roman et qui débute sur le choc d’une annonce forcément brutale.
A. vit depuis huit ans une relation forte avec Adrian, un galeriste Suisse. Si leur relation est longtemps restée si intense, c’est sans doute aussi parce qu’entre Zurich et Paris où ils vivent respectivement, ils doivent profiter de chaque minute ensemble. Lors de vacances communes et de déplacements professionnels ou privés chez l’un ou l’autre. Mais le fait de ne pas vraiment vivre ensemble a aussi un inconvénient majeur : malgré les technologies modernes, la séparation fait mal. Adrian en a assez et opte pour une autre relation. Pour A. tout s’effondre.
Un sentiment de vide
«Je ne mangeais plus, ne dormais plus, il me semblait être au centre d’une forêt dévastée, avec aucun arbre pour m’abriter, et il y avait cette femme (je montrai sa photographie) ma rivale, je n’arrivais pas à comprendre, pourquoi elle et pas une autre, et elle tenait ce blog, qui d’une façon était mon dernier lien à Adrian, même si je me trompais, mais j’essayais de savoir où ils en étaient par ce prisme, elle me manipulait, j’étais tombée dans ses filets (…) c’était bon de souffrir, après tout je le méritais peut-être, je me sentais salie, j’avais non seulement perdue confiance en moi, mais en tous les hommes aussi.»
Une angoisse d’abandon
Nina Bouraoui détaille presque chaque minute de cette phase si difficile durant laquelle on ne sait plus vraiment à quoi se raccrocher, où on a l’impression que chaque événement du quotidien est un signe, ou chaque musique entendue – Shy’m, Natasha St-Pier, Pascal Obispo, Emmanuel Moire – résonne trop fort en soi, où même les ami(e)s ne peuvent rien pour vous. «Il me fallait remonter aux sources de l’abandon, non pour trouver un remède, en existait-il vraiment ?, mais un chemin vers la clarté.»
Comprendre les raisons de la rupture
Elle se connecte au «blog de l’autre» pour prendre des nouvelles de son infortune, veut retrouver Adrian pour le reconquérir, puis finit par se rendre compte qu’il n’y aura pas de retour en arrière. Va chercher le soutien du Docteur Krantz. Si la psy ne peut la guérir, elle peut au moins poser un diagnostic et explique « avoir à soulager ses patients d’un nouveau mal – les réseaux sociaux. Elle manquait d’outils pour nous défendre de ce qui était, selon elle, une invention diabolique mettant à rude épreuve le principe même de liberté ; j’en subissais, telle une souris de laboratoire, l’expérience, elle s’en désolait, ne voyant ä court terme, aucune issue au trouble qui me rongeait. »
Une occasion de se redéfinir
Comprenant alors que ce n’est pas en se complaisant dans sa souffrance qu’elle s’en sortira, A. finit par entrevoir une issue, imagine qu’elle peut repartir. Sauf que, fort de cette douloureuse expérience, elle s’engage sans illusions dans sa nouvelle histoire : «On va dans le mur, mais je ne sais pas à quelle vitesse».
Un beau roman, aussi désespéré qu’une histoire d’amour qui se veut éternelle.
Retrouvez Henri-Charles Dahlem sur son blog: http://urlz.fr/44nt

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