Big brother
Lionel Shriver

Traduit par Laurence Richard
J'ai lu
août 2014
445 p.  8,40 €
ebook avec DRM 12,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Le poids des maux

Lionel Shriver est une romancière américaine qui a l’art d’aborder les sujets qui fâchent sans détour, voire même avec une certaine forme de radicalité. Le politically incorrect  est pour elle une véritable marque de fabrique. On se souvient du choc de lecture provoqué par son roman, « Il faut qu’on parle de Kevin », lauréat de l’Orange Prize 2005 . Elle y dénonçait les défaillances du système d’éducation américain à travers le personnage d’un enfant psychopathe, tueur de masse et sa relation conflictuelle avec sa mère.

Elle revient aujourd’hui avec un roman sur toutes les obsessions que nos sociétés développent autour du rapport à la nourriture, que ce soit à travers ses excès ou ses restrictions.

Pour avoir perdu son frère Greg des suites d’une obésité morbide, l’auteur connaît plus que bien son sujet. Et quand la question qui se trouve au cœur de son livre est de savoir si pour sauver un proche de la spirale du surpoids on doit prendre le risque d’un éclatement de la cellule familiale, on se dit que ce texte exprime peut-être une forme de culpabilité de ne pas avoir réussi à sauver son frère des conséquences mortelles de sa maladie. Très inspiré de son histoire personnelle, ce texte n’est en rien un récit, c’est un roman où Edison le frère de l’héroïne emprunte à Greg le frère de l’auteure ses problèmes de poids et à son mari son métier de jazzman. Pour le reste tout est fiction.

Pandora, la quarantaine, est la femme de toutes les réussites. La société qu’elle dirige lui apporte argent et même renommée ; elle a épousé Fletcher qui a deux beaux enfants et ce mariage est un modèle de famille recomposée avec succès. Quand elle propose à son frère Edison de l’héberger, alors qu’il se trouve dans une mauvaise passe et totalement démuni, elle est loin d’imaginer qu’en allant le chercher à l’aéroport, alors qu’elle ne l’a pas vu depuis quatre ans, elle va le retrouver avec cent kilos de plus.  Elle peine à reconnaître dans cet homme obèse celui qui, quelques années auparavant, était encore mince et flamboyant. Sachant que Fletcher son mari est un « control freaks » de la nourriture, obsédé de diététique et de santé, Pandora craint le pire et elle a bien raison.  C’est tout son équilibre familial qui va être remis en question. Alors pour sauver ce frère qu’elle aime et dont elle a toujours été fière, elle fait le choix de tous les dangers pour elle, son couple, sa famille, son boulot…

 

Dans la Bible Genèse 4.9 il y a un passage qui résume le propos du livre: « l’Eternel dit à Caïn : où est ton frère Abel ? ; il répondit : je ne sais pas ; suis-je le gardien de mon frère ? »  Cette dernière question est sans doute celle à laquelle Lionel Shriver tente de répondre tout au long du roman. Car si le thème du rapport au corps et à la nourriture lui offre un socle pour des réflexions passionnantes, celui de l’amour fraternel y est tout aussi essentiel voire même central. En fait c’est autant une histoire de « Brother » que de « Big ». En exergue de son livre, Lionel Shriver a choisi un titre du Daily Telegraph: « Une personne sur trois changerait un an de sa vie pour un corps parfait ». Et pour sauver un frère, serions-nous prêts à changer un an de notre vie? Avec ce regard acide et ce ton percutant qui n’appartiennent qu’à elle, Lionel Shriver nous livre un texte d’une rare férocité et d’une redoutable efficacité. Elle a un vrai talent pour les dialogues qui claquent et pour ouvrir notre appétit de lecture. Pour preuve,  ce livre on l’engloutit d’une traite. 

partagez cette critique
partage par email
 Les internautes l'ont lu
coup de coeur

ENORME !

Lionel Shriver fait partie de mes auteurs préférés, au même titre que Joyce Carol Oates et Laura kashischke. Elle sont toutes trois américaines et ont le don d’écrire l’indicible.
Big Brother aborde un sujet tabou, l’obésité morbide. Comment peut on arriver à manger autant, à se suicider par la bouffe ? Et en même temps comment arriver à composer tous les jours avec ce qui vous tue puisque l’on peut se sevrer totalement de n’importe quelle drogue mais de pas de la nourriture ?

L’auteur aborde tout, le dégoût, la répulsion, le vomi, les toilettes bouchées, dans une quête absolue de vérité qui m’a scotchée et fascinée. J’ai souffert, eu la nausée, faim et pleuré avec Pandora et Edison. « Il faut qu’on parle de Kevin » a été la première claque, « Big Brother » en est une autre, quel auteur !

partagez cette critique
partage par email
 

Manger à en crever

Auteur désormais installée, Lionel Shriver a choisi dans son dernier roman de parler d’un phénomène élevé au rang de cause nationale aux Etats-Unis, puisqu’elle y traite de l’obésité. Le sujet n’est a priori pas des plus glamour, mais il est vrai qu’il renvoie chacun d’entre nous à son propre rapport à la nourriture, et ce n’est pas là le moindre intérêt de ce livre, d’autant que l’auteur émaille son texte de réflexions, de métaphores et de comparaisons alimentaires, parfois surprenantes, mais qui font cependant ici parfaitement sens !

Pandora, mariée à ce qu’il faut bien appeler un ayatollah de la diététique, reçoit son frère Edison, qu’elle n’a pas vu depuis quatre ans. Quel choc à l’aéroport lorsqu’elle découvre que le séduisant jazzman s’est métamorphosé en un colosse de 175 kilos ! La cohabitation entre le dévoreur compulsif et l’obsédé du tour de taille promet d’être explosive, et Pandora va très vite être amenée à faire un choix entre les deux.
On craint au départ – en tout cas ça été mon cas – que ce schéma très caricatural ouvre la porte à des situations on ne peut plus simplistes. Et, lorsque Pandora prend la décision de coacher son frère pour lui permettre de perdre son excès de poids, j’avoue avoir été parfois rendue un peu perplexe par l’apparente simplicité du train que prenaient les événements.

Sans vouloir déflorer le roman, il s’y joue pourtant quelque chose de très intime et de très touchant. L’auteur ne s’en cache pas, et la quatrième de couverture révèle qu’il existe une part autobiographique à cette histoire, elle a perdu son frère des conséquences d’une obésité morbide. Dès lors, ce livre apparaît autant comme une réflexion sur la place de la nourriture dans nos sociétés que comme une catharsis. Mais ce récit ne prend jamais d’accent dramatique, et l’auteur ne se prive pas, au contraire, de traiter son sujet avec une certaine dose d’humour.
Toutefois, au-delà de sa propre réflexion sur cette expérience ô combien douloureuse, l’auteur semble y rejouer le rôle qu’elle n’a peut-être pas tenu. Mais aurait-elle dû jouer ce rôle ? Et l’aurait-elle pu ? C’est bien la question centrale de ce roman et c’est à mon sens ce qui en fait la valeur et le rend touchant aux yeux du lecteur.

Retrouvez Delpine-Olympe sur son blog 

partagez cette critique
partage par email