Ciel d'acier
Michel Moutot

Points
janvier 2015
440 p.  8 €
 
 
 
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coup de coeur

Une saga vertigineuse

Cette «épopée familiale quasi légendaire se déroulant sur plusieurs générations», pour reprendre la définition du mot saga, est d’abord un formidable roman, avec tous les ingrédients susceptibles de nous envoûter : du sang et des larmes, de l’amour et de la rivalité, de l’injustice et de la rédemption, de l’étrange et du factuel. Pour un coup d’essai, c’est un coup de maître !
Michel Moutot a choisi le 11 septembre 2001 comme point de départ de cette histoire séculaire. Le narrateur, John LaLiberté, est monteur d’acier. Quand il aperçoit ce matin là les avions s’encastrer dans les tours jumelles, il comprend immédiatement ce qu’on attend de lui : «Le World Trade Center, c’était un squelette de milliers de tonnes de métal. Je ne sais pas ce qu’il en reste, mais je sais que, pour avancer dans les décombres à la recherche des survivants, pompiers et secouristes vont avoir besoin de nous. Car, si depuis un siècle nous éditions ponts et gratte-ciel, nous construisons l’Amérique, c’est aussi nous qui les démontons, les découpons. Quand il doivent disparaître pour faire place à autre chose dans une ville et un pays qui se réinventent sans cesse, les règlements prescrivent que c’est à nous, monteurs d’acier, qu’il faut faire appel. »
En expliquant les raisons qui ont conduit la tribu des Mohawk à devenir le peuple des monteurs d’acier, en détaillant le rôle que ces «ironworkers» ont joué dans la construction des infrastructures qui ont permis le développement économique du Canada et des Etats-Unis, en montrant le tribut qu’ils ont dû payer au fil des ans, l’auteur réussit le tour de force de donner de la chair à ces ponts et à ces gratte-ciel.
Avec John LaLiberté et ses compagnons, le lecteur est convié à vivre des épopées et des drames, des combats et des trahisons, des histoires d’amour et de mort. Dès lors, le plaisir de la lecture et de la découverte ne la lâchera plus tout au long des quelque 500 pages du livre.
C’est très solidement documenté, superbement bien écrit – sans pathos et sans fioritures inutiles – et formidablement bien construit. On découvrira par exemple que les sauveteurs n’étaient pas seuls à fouiller les décombres et que la recherche des survivants n’était pas le seul motif pour atteindre au plus vite les étages inférieurs. Ou encore qu’un tel chantier doit aussi apprendre à se structurer et que certaines décisions trop hâtives ont sûrement entrainé la destruction de preuves, voire d’ADN. On saura enfin quels rites et quelles croyances – les Indiens n’ont pas le vertige – ont construit la légende des Mohawks (les plus anciens se rappellerons à ce propos de John l’Enfer de Didier Decoin, Prix Goncourt 1977). Gageons que vous ne regarderez plus les gratte-ciel de New York de la même manière après avoir refermé ce superbe roman.

Résonances
Ajoutons que si je tiens ce roman en si haute estime, c’est aussi parce qu’il vient conforter mon travail sur le 11 septembre, la documentation que j’ai amassée et les témoignages que j’ai recueillis. Dans mon premier roman, le 11 septembre joue un rôle non négligeable puisqu’il cristallise les ambitions de Fabrice Le Guen, jeune journaliste-animateur qui part à New York pour réaliser plusieurs émissions spéciales commémorant le premier anniversaire des attentats.
Si ce «Valmont» d’aujourd’hui se sert de l’événement pour impressionner, il n’en effectue pas moins des repérages et cherche lui aussi à rendre compte de ce qu’à pu être ce traumatisme pour toute une ville, un pays, voire par toute la planète.

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coup de coeur

Une fresque à la démesure de l’Amérique

Attention, si vous commencez ce livre, sachez que vous ne le lâcherez pas ! Il est ceux qui se lisent d’une traite et vous emportent d’emblée dans leur univers sans possibilité de retour !

Connaissez-vous les ironworkers ?
Il s’agit de ces ouvriers spécialisés dans le travail de l’acier, dont les compétences sont très recherchées pour la construction des gratte-ciel notamment. Personnellement, je ne m’étais jamais posé la question de savoir comment ni surtout par qui sont bâtis ces buildings qui font la fierté et la renommée des Etats-Unis… Et pourtant, quelle passionnante histoire ! Une véritable odyssée qui dessine le visage de ce grand pays et que nous conte Michel Moutot avec un talent hors pair.

Le récit s’ouvre sur la scène apocalyptique du 11 septembre 2001. Michel Moutot nous plonge dans le chaos. Poussière, fumées toxiques, odeurs suffocantes, chaleur insupportable… rien ne nous est épargné. Moutot, qui était alors sur place en tant que correspondant pour l’agence France Presse, est bien placé pour trouver les mots qui retranscrivent l’atmosphère infernale.

Au milieu de ce champ de ruines, John LaLiberté, indien mohawk, découpe les poutres d’acier pour tenter de dégager des survivants. Dès qu’il a su ce qui s’était passé, il s’est précipité : ces tours jumelles, son père les avait construites. Chez les LaLiberté comme chez de nombreux Indiens, on est ironworker de père en fils.
Car construire – ou déconstruire – des buildings est bien une spécialité des Indiens mohawks. La légende prétend qu’ils ne connaissent pas le vertige, ce qui en fait une main-d’oeuvre particulièrement recherchée. Les Indiens laissent dire. Ils ne trouveront jamais meilleur gagne-pain que celui-ci, qui exige une très grande adresse, une bonne dose d’audace… et qui paye bien.
Echafaudant judicieusement son récit autour de trois moments-clef, Moutot nous explique comment ce peuple s’est forgé une réputation d’habileté sans égale. Passant alternativement des années 1880, au moment de la construction d’un pont révolutionnaire enjambant le Saint-Laurent aux abords de la réserve mohawk, aux années 1970 qui virent l’édification du World Trade Center et, donc, au 11 septembre, nous suivons les destinées de quelques-uns de ses représentants sur plusieurs générations.
Nous les accompagnons sur leurs poutres d’aciers, à des centaines de mètres au-dessus du sol, et frémissons de les imaginer évoluer ainsi dans les airs, sans aucun harnais ni le moindre système de sécurité. Et c’est bien cela qui est effarant. Il fallut attendre les années 1980 pour que des mesures soient prises et rendues obligatoires, faisant ainsi considérablement chuter – si je puis dire ! – la tolérance en matière de perte des effectifs sur un chantier.

Ce qui est passionnant dans ce livre, c’est que derrière cette fresque extrêmement vivante se cache une enquête ultradocumentée qui nous en dit énormément sur l’Amérique et son histoire. Vraiment, vraiment, je vous encourage à le lire ! Quand une lecture procure un tel plaisir tout en nous ouvrant les yeux sur le monde, ce serait dommage de passer à côté !

retrouvez Delphine Olympe sur son blog  delphine-olympe.blogspot.fr

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