Dans le jardin de l'ogre
Leïla Slimani

Editions Gallimard
blanche
août 2014
227 p.  7,40 €
ebook avec DRM 7,49 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Don Juane égarée à Paris

Marocaine installée à Paris, journaliste, Leïla Slimani se jette pour son premier roman avec une certaine acidité dans un étrange et « bataillen » (de Georges Bataille) »Jardin de l’ogre ». La brutalité du thème – une addiction féminine au sexe -, sinon son originalité pourraient rebuter. Mais l’écrivaine ne s’y complaît pas, elle raconte avec une certaine distance la descente aux enfers de l’héroïne, nommée Adèle, et le combat un peu désespéré du mari de la malade, qui est médecin. Va-t-il enfin essayer de remettre son épouse sur de bons rails, va-t-il pardonner ? Et Adèle montera-t-elle enfin dans le train  qui la ramènera au bercail, quand le couple aura quitté Paris avec son enfant ?

Ce qui frappe dans cette histoire, ce n’est pas la répétition d’un schéma, déjà cent mille fois traités depuis Flaubert et Balzac, c’est qu’elle a jailli de la plume d’une émigrée qui devrait être aux antipodes d’une telle problématique. La femme, le mari et « une armée d’amants » : on se croirait aux Folies Bergères ou dans un théâtre de boulevard ! Sauf qu’Adèle ne sait pas vraiment pourquoi elle s’abaisse ainsi dans une sordide et incompréhensible accumulation d’hommes et que son mari, qu’un accident de scooter oblige à remettre en question sa situation, hésite à tout détruire…

Leïla Slimani détaille avec une certaine finesse le mystérieux mal qui afflige Adèle. On dirait presque que la romancière a vécu ce chemin de croix et que ce récit n’est pas le fruit d’un hasard.

partagez cette critique
partage par email
 Les internautes l'ont lu

J’ai plongé dans le livre comme dans un abysse, totalement hypnotisée par Adèle et sa nymphomanie, son addiction, sa perte de contrôle et la fascination de l’horreur. L’écriture de Leïla Slimani a quelque chose d’hypnotique qui bouscule et dérange profondément. J’avais déjà éprouvé ce sentiment avec « chanson douce ». Un grand roman sur l’addiction qui vous bouscule et vous happe

partagez cette critique
partage par email
 
coup de coeur

Prédatrice

Dès les premiers mots, je suis dans le bain (cf. la 4ème de couverture) et quel bain !! Les mots ne se cachent pas derrière des ellipses, ils sont là, crus, durs, violents, froids. J’ai quelque peu peiné au début, puis je n’ai pas pu lâcher le livre.
Une Madame Bovary revisitée à la sauce DSK, une Belle de jour puissance 100, enfin bref, une dévoreuse d’hommes du côté sexe, le sentiment, elle s’en moque. Mariée à un médecin qui bosse dur, peu enclin aux ébats amoureux et mère d’un petit Lucien qu’elle ne sait aimer. « Lucien est un poids, une contrainte dont elle a du mal à s’accommoder. Adèle n’arrive pas à savoir où se niche l’amour pour son fils au milieu de ses sentiments confus. »
En écrivant cette chronique, j’ai en tête la chanson de Marie-Paule Belle où le sexe est joyeux, la nymphomanie gaie. Adèle, Son addiction au sexe ne la rend pas heureuse. Sauf peut-être la période de « chasse ». Toujours il lui faut mentir, toujours jouer la comédie, trouver des plans pour faire garder Lucien et mentir à son mari, toujours cette peur de la grossesse, du SIDA, se contenir devant les autres pour ne pas se laisser deviner. Elle mène une vie de toxicomane qui ne peut faire autrement que subir ses pulsions.
Adèle, super active dans sa sexualité est atone dans la vie courante. Elle m’a donnée l’impression d’une algue qui se laisse flotter au fil du courant. Son métier de journaliste ne lui plaît pas, elle ne cuisine pas, ne s’intéresse à rien ni mari, ni fils, rien. Elle se cogne aux murs d’une vie qu’elle a voulue pour faire comme tout le monde.
Seule sa mère a deviné la bête qui est en elle. Je pense qu’elle sait exactement de quoi elle parle car je la devine comme Adèle.

Un premier roman cru, violent, désespéré mais jamais voyeur, ni accrocheur, et, surtout pas, érotique. Avec son écriture clinique mais vive Leïla Slimani s’impose dans le monde littéraire et c’est une très bonne chose.

partagez cette critique
partage par email
 
coup de coeur

Un conte au réalisme prenant

Avec son premier roman, Leïla Slimani nous invite Dans le jardin de l’ogre. Un bien joli titre qui attise la curiosité et qui n’est pas sans rappeler l’univers des contes et de l’enfance. Et c’est un peu de cela dont il s’agit en effet car l’enfance, avec l’amour qui est dispensé – ou pas – est le point de départ de tout, le moment où se créent les fantasmes et les obsessions, elle est le berceau de nos démons intérieurs.

Ici, il est question de dépendance sexuelle, thème plutôt courageux pour un premier livre puisqu’il s’applique de surcroît à une femme. L’existence de telles pathologies reposant sur les mêmes schémas comportementaux que les addictions aux drogues ou à l’alcool se fait connaître de plus en plus, à travers la littérature ou le cinéma, avec notamment le film de Lars Von Trier, Nymphomaniac. Toutefois, Leïla Slimani évoque la question avec beaucoup de délicatesse, un mélange subtil de réalisme – puisqu’elle ne nous épargne aucun détail – et de pudeur. A la lecture, nous percevons un immense respect envers son héroïne, Adèle, et même une certaine compassion.

Adèle a essayé d’échapper à son mal en se construisant une existence bourgeoise et conventionnelle. Elle-même journaliste, elle a épousé un chirurgien et a eu un enfant avec lui avec lequel elle a du mal à établir une relation affective équilibrée. Si elle lui sert d’alibi, son existence rangée en apparence, ne l’a en rien guérie de ses compulsions.

L’auteure nous fait plonger dans le quotidien infernal des dépendants sexuels : le mensonge, les heures de préparation et d’organisation nécessaires pour assouvir les envies, les téléphones mobiles et les ordinateurs possédés en double exemplaire et qu’il faut dissimuler, la préparation des rendez-vous qui prend tout le temps et l’énergie disponible, l’angoisse de se trahir, les phobies et les obsessions, les peurs disproportionnées alors même qu’on se met en danger sans cesse, le risque de perdre tout ce qu’on a depuis l’activité professionnelle jusqu’à la famille et l’estime de soi.

Il y a les moments de honte profonde, le sentiment de culpabilité et aussi la reconnaissance de la plus totale impuissance, même face à la trahison et parfois à la destruction de ceux qu’on aime. Elle trahit son époux, elle trahit sa meilleure amie, elle néglige son enfant, et rien ne peut l’arrêter quand le besoin apparaît. Elle choisit les hommes au hasard de ses rencontres, quand elle le peut, sinon elle ne choisit pas ou va jusqu’à payer pour obtenir son shoot sexuel. Son comportement est souvent plus proche d’une forme de masochisme que de la recherche du plaisir pur. Avant toute chose, elle cherche à combler un manque, un vide existentiel profond dont les origines remontent à son enfance et à sa relation frustrante avec une mère incapable d’aimer et également déséquilibrée.

Tous les aspects difficiles de la vie d’une personne dépendante sont évoqués et peuvent représenter une découverte ou une prise de conscience pour les lecteurs non initiés. Nous la suivons dans sa quête effrénée, désespérée et vaine, jusqu’à ce que, bien sûr, le pot-aux-roses finisse par être découvert. Bien que profondément blessé, son mari Richard ne l’abandonne pas. Grâce à sa formation médicale, il est capable de comprendre les mécanismes de l’addiction. Il décide alors de la sauver en l’emmenant en province, en lui imposant un changement de vie drastique et en la surveillant en permanence.

Tout est décrit de façon directe et concise, sans fioritures mais sans dissimulation, l’écrivaine ne nous cache rien de la réalité brute et douloureuse mais il n’y a pas de complaisance à décrire le glauque ou le sordide. Nous assistons à tout, comme si nous suivions Adèle durant un reportage et curieusement, de cette simplicité dans la description et l’écriture naît l’émotion et la compassion, nous nous surprenons à souhaiter le rétablissement et le bonheur de l’héroïne, oubliant qu’elle n’est qu’une créature de papier. Etre imaginaire certes mais nous savons aussi qu’elle a de nombreux semblables dans la vie réelle, qui endurent eux aussi toute cette souffrance.

Avec ce roman, Leïla Slimani a relevé le pari de Schéhérazade : compatissante devant la faute de la femme adultère, elle nous a envoûtés et nous a conduits – saisis – au bout de la nuit. Nous serons là, comme le roi de Perse, au prochain crépuscule, prêts à découvrir son prochain conte.

partagez cette critique
partage par email