critique de "Entre ciel et terre", dernier livre de Jón Kalman Stefánsson - onlalu
   
 
 
 
 

Entre ciel et terre
Jón Kalman Stefánsson

Folio
folio
mars 2011
272 p.  7,90 €
ebook avec DRM 7,99 €
 
 
 
 Les internautes l'ont lu
nuit blanche

D’ailleurs les poissons n’ont pas de pieds

Y a-t-il une manière islandaise de raconter les histoires ? Sans certitude sur ce point, je crois pouvoir affirmer qu’il y a une manière Stefánssonienne. On pourra la résumer à une sorte d’introspection poétique. L’auteur ne se contente pas de raconter, de retracer des faits, mais questionne régulièrement ce qu’il affirme, ajoutant à ses réflexions une note philosophique. Il pourra aussi dérouter le lecteur avec quelques belles évidences, à commencer par le titre de ce beau et rude roman. Son personnage principal s’appelle Ari. On va le retrouver à plusieurs époques. Au moment où commence le livre, il roule vers Keflavík. Un retour aux sources pour cet homme qui a grandi dans cette ville improbable qu’il a choisi de quitter pour être éditeur au Danemark. Car la vie dans ce coin hostile d’Islande ne s’est développée qu’à partir de 1898, quand un scientifique a eu l’idée de publier un rapport indiquant que les fjords et la baie étaient propices à la pêche «et par conséquent toute l’histoire d’Ari fait suite à la parution de ces quelques lignes écrites par le naturaliste Bjarni et publiées dans la revue Andvari. La vie naît par les mots et la mort habite le silence. C’est pourquoi il nous faut continuer d’écrire, de conter, de marmonner des vers de poésie et des jurons, ainsi nous maintiendrons la faucheuse à distance, quelques instants.» Ari va par conséquent s’attacher à cette mission, écrire et conter et transmettre, mais à partir du Danemark où il devient éditeur. Quand il retrouve son ami, c’est non seulement un rendez-vous avec son enfance et son adolescence, quand il voulait être pêcheur, qui lui revient en mémoire. Toute l’histoire familiale ressurgit. On va le suivre au moment où, adolescent, il choisit d’être pêcheur. Un destin qui semble tout tracé, car le poisson est quasiment la seule activité économique. Puis, on le retrouve sur les pas de sa famille, depuis le grand-père Oddur qui incarne au mieux la définition de ces conditions de vie dantesques : «Keflavík a trois points cardinaux : le vent, la mer et l’éternité.» Trois points cardinaux que l’auteur creuse davantage encore avec l’évocation de ses parents et notamment de sa mère décédée. Une mort qui va entraîner les soubresauts de sa propre existence. Au fil des récits, on est littéralement pris dans cette narration comme dans un filet de pêche. On sent la vie, on envisage même le grand large, mais on finit toujours par rester emprisonné. À l’image de ces sentiments qui n’arrivent pas à être exprimés «Oddur serre les poings, c’est sa manière à lui de déclarer sa flamme, elle le sait, c’est ainsi que se tisse le chant d’amour qu’il lui destine.» La manière Stefánssonienne de raconter des histoires est aussi là. Dans ce souci de ne jamais oublier la poésie, notamment et surtout face à l’hostilité du climat, à la rudesse des marins-pêcheurs, aux drames qui rongent les existences. C’est violent et c’est beau. C’est islandais et c’est universel.

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coup de coeur

Le pouvoir des mots

« Le gamin » est un jeune orphelin islandais, pêcheur plus par nécessité que par passion. Son meilleur ami, Bárður, pêcheur également, lui fait partager sa passion des livres et des mots. Mais Bárður est un jour si absorbé par la lecture de vers de Milton qu’il en oublie sa vareuse avant de partir pêcher en mer. La mer glaciale et parcourue de tempêtes lui fera chèrement payer cet oubli. Trempé et transi par le froid polaire, Bárður périra dans le bateau. Le gamin, traumatisé par cette disparition, va décider de traverser l’ile pour rendre le livre de poésie à son propriétaire, un capitaine aveugle. Ce voyage s’apparentera dès lors à une quête initiatique pour trouver un sens à la vie et accepter la perte de son ami. Les êtres qu’il croisera durant cette odyssée lui permettront de s’ouvrir à d’autres horizons.

Beaucoup d’amour et de poésie dans ce roman et un hommage à la nature et en particulier à la mer, nourricière et dangereuse. Par sa grande qualité d’écriture, la description de la mer glaciale est saisissante et on ressent en lisant ces lignes le froid polaire et la tempête. Le lecteur se sent très proche du « gamin » dont on partage la douleur face à la mort qui a emporté tant de ses proches. C’est un récit d’apprentissage plein d’humanité et finalement d’espoir, un hommage au pouvoir salvateur des mots.

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