Grâce
Delphine Bertholon

Le Livre de Poche
mai 2013
312 p.  6,90 €
 
 
 
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coup de coeur nuit blanche

danse magique avec les ombres du passé

Ce récit est particulier comme une ombre, un clair obscur qui raconte les histoires et les secrets d’une famille. Son titre est le prénom de la mère de famille Grâce.

Grâce Bataille née Boisson, fille d’un illustre résistant qui habite la maison de ses parents et s’est marié à un représentant d’électroménager toujours en voyage Thomas Bataille. Elle a 2 enfants une fille Lise devenue une jeune femme étrange qui a du mal à réussir sa vie et Nathan.

Nathan est architecte, il est veuf et à des jumeaux Colin et Soline de 6 ans, il a perdu son grand amour leur mère Cora le jour de l’accouchement. Il s’est toujours senti seul, à part dans la famille sans savoir pourquoi. Le seul moment où il a eu l’impression de revivre c’est quand il a rencontré la mère de ses enfants puis au travers du regard de ses enfants.

Le récit a une construction particulière, on a d’un côte des lettres, des écrits de la mère Grâce qui nous replonge dans le passé des années 1980. Elle raconte son couple avec Thomas et la présence d’une intrus Christina, une jeune fille d’une vingtaine d’années polonaise qui s’occupe des enfants. Ces lettres montrent bien l’évolution du couple, de la famille et des tensions qui s’accumulent au fil des jours.

En parallèle à ce récit, on a la narration de Nathan le plus jeune enfant venu avec ses jumeaux pour les vacances de Noël, qui n’a pas le même rapport au passé, à son père que le reste de sa famille. Il ne vit que pour ses enfants et dans le présent, en essayant de gérer au mieux le quotidien depuis la mort de sa femme. Mais une série d’évènements au cours de son séjour va ranimer sa mémoire et faire ressurgir le passé comme des fantômes.

On alterne les points de vue féminin et masculin entre Grâce qui nous replonge en 1981, son rôle de femme au foyer et le point de vue actuel de Nathan lors de ce retour aux sources. L’auteur retranscrit les émotions d’une manière terriblement précise, tantôt délicate, tantôt brûlante. On retrouve sa « patte » dans le décorticage des émotions et de l’âme humaine, « le détricotage » de Grâce notamment pour reprendre une expression du livre est particulièrement réussie. Toute la gamme des sentiments, de l’intime, est dévoilée à travers les personnages cabossés, tordus, victimes de leurs passés, de leurs fêlures et de leurs non dits.

L’écriture de Delphine Bertholon est une fois de plus subtile, elle arrive à nous faire rentrer dans la tête et la psychologie de ses personnages, principaux et secondaires. On est tour à tour la mère, la sœur, le frère, les enfants, le père et la jeune fille au pair du passé Christina. Ces passages comme des incarnations par moments de chaque personnage, sont accentués par le caractère étrange presque fantastique du récit. Elle bouleverse les codes de la logique, l’ordre du temps, les points de vues pour nous faire ressentir les mêmes angoisses, questionnements que Nathan au fil du récit. J’avoue j’ai été particulièrement fasciné par le personnage de Nathan, blessé par la vie, qui reconstitue par bribes l’histoire de sa famille et apprend à mieux comprendre sa mère, sa sœur. Il remet en cause ses choix, sa vision de la vie en restant à l’écoute des autres. Le personnage de Grâce est aussi très intéressant dans son basculement, son oscillation entre fragilité, et dans ces moments là j’ai éprouvé de la compassion pour elle et par moments cette dureté, froideur, folie qui nous fait questionner sur nos actes, nos souhaits, nos désirs et notre responsabilité.

J’ai apprécié cette atmosphère étrange, ce rôle à part entière de la maison comme dans les films fantastiques ou d’horreur, cette idée qu’il y a une mémoire des murs, les cauchemars étranges de Nathan, les signes qu’il croit voir. Ce choix a facilité pour moi l’empathie et a libéré mon imaginaire autour du jardin, de la maison de poupée, il nous rappelle nos vieilles peurs d’enfance, les vieilles légendes.

Le récit de Grâce évoque aussi les grands évènements historiques avec l’arrivée de Mitterrand, les crises en Europe de l’Est, le bouleversement de la société avec l’électroménager et le début du culte du corps des années 1980. On retrouve aussi une réflexion plus sociétale, sur la place de la femme, son rapport au corps, sur la vieillesse, la place de la mort aujourd’hui. Les personnages recherchent à être en paix avec eux même, à faire le deuil de leur passé, notamment pour celui qui va évoluer le plus Nathan, mais Lise, Grâce aussi change et modifie leurs comportements dans la dernière partie du récit.

Le récit fait ressortir une impression de nostalgie, de solitude qui transpire dans les personnages, avec l’omniprésence aussi du deuil et de l’absence. Le départ du mari pour Grâce qui se retrouve seule pour élever ses enfants, le départ d’abord de sa sœur adorée pour Nathan puis de la mort de son épouse. La solitude de Christina dans cette famille loin de son pays.On a aussi une ambiance particulière, angoissante qui se diffuse au fil du récit.

Mais ce récit n’est pas que cela comme toujours chez l’auteur il y a aussi des passages lumineux, des personnages qui aident et réconfortent. Les personnages des jumeaux et leurs relations avec leur père, la figure protectrice et tutélaire de Cora qui protège Nathan, la rencontre avec Claire qui met en route un bouleversement. La reconstruction du passé, de son histoire intime qui libère peu à peu cette famille dysfonctionnelle. La fin est particulièrement réussie et donne une autre dimension aux personnages

C’est donc un récit aussi sur la reconstruction, la vengeance, l’abandon, le non dit, les dysfonctionnements familiaux et dans le couple. La force de l’écriture de l’auteur est de faire de cette mosaïque de sensation, de personnages un récit cohérent et diablement bien construit. On assiste à la reconstruction et à l’acceptation de leur histoire commune et pourtant si personnelle.

Récit riche foisonnant, poétique, tortueux, triste et gai, nostalgique, angoissant. Et pourtant avec de l’espoir, un beau voyage dans l’âme humaine du plus sordide au sublime, de l’amour fou à la vengeance, de la famille à la solitude. Un récit une fois de plus qui interpelle, exigeant, dérangeant, intelligent et profondément vivant. Si vous n’avez pas découvert l’écriture magique de Delphine Bertholon il est largement temps, prenez ce livre et laissez vous porter par ces mots.

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