HHhH
Laurent Binet

Le Livre de Poche
mai 2011
448 p.  8,20 €
 
 
 
 Les internautes l'ont lu
coup de coeur

Un chef d’oeuvre !

Le livre de Laurent Binet est vraiment à part dans le paysage littéraire, en cela qu’il dépasse la simple fiction romanesque pour interroger le travail même de l’écrivain qui plonge son action au cœur d’un épisode historique. Comment être sûr que les éléments qu’il découvre au fur et à mesure de ses recherches n’ont pas été eux mêmes déformés ou romancés ? Comment, de son côté, faire la part entre la réalité des faits et la nécessaire invention propre à la création ? C’est ainsi que l’auteur entraîne son lecteur dans un récit haletant, servi par ce questionnement permanent et un regard plein d’humour qui invitent à s’interroger sur la nature même du récit.

« HHhH » s’intéresse à l’un des faits de résistance les plus héroïques de la seconde guerre mondiale, l’attentat de Prague contre Heydrich, le bras droit d’Himmler, à l’origine de la planification de la « solution finale ». HHhH est ce que l’on dit de lui chez les SS : « Himmlers Hirn heist Heydrich » (Le cerveau d’Himmler s’appelle Heydrich). Le narrateur, passionné par ce fait d’armes, orchestré par Londres et mis en œuvre par deux résistants tchèques décide de le relater. A partir de là, il découvre qu’il est déjà la proie de nombreuses influences, littéraires ou cinématographiques, tant les œuvres mettant en scène les principaux protagonistes de la seconde guerre mondiale sont nombreuses et variées. Et tandis qu’au fil de ses recherches, il reconstitue peu à peu le théâtre des opérations, redonne vie aux héros et aux bourreaux, retrace leurs moindres déplacements, tente de s’immiscer dans leurs pensées, le lecteur suit, totalement fasciné, à la fois l’intrigue (suffisamment haletante pour justifier l’intérêt du livre) et le regard du romancier sur son propre travail (sans cesse perturbé par de nouvelles parutions qui remettent ses certitudes en question).

« Je dis qu’inventer un personnage pour comprendre des faits d’histoire, c’est comme maquiller des preuves. Ou plutôt, comme dit mon demi-frère avec qui je discute de tout cela, introduire des éléments à charge sur le lieu du crime alors que les preuves jonchent le sol… »

Un livre fantastique, qui non seulement ne peut pas laisser indifférent mais auquel on repense pendant très longtemps et que l’on relit volontiers. Pour ma part c’était il y a plus de deux ans et je n’ai rien oublié, ni du plaisir de lecture, ni du frisson de bonheur qui accompagne la satisfaction d’accéder à une démonstration intelligente. Tout ceci saupoudré d’une dose d’humour qui installe définitivement la complicité avec son lecteur. Bravo !

http://www.motspourmots.fr

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Fascinant

En s’intéressant à l’attentat contre Heydrich, en 1942, à Pragues, Laurent Binet écrit (premier roman) un texte très personnel, dans la manière d’Emmanuel Carrère, qui se lit étonnamment plaisamment. J’en suis surprise car je ne pensais pas le sujet, ni l’époque, aptes à capter ainsi mon attention, et théoriquement le traitement réalisé aurait dû m’agacer (exposer en permanence les affres de l’écrivain en train d’écrire); pourtant, c’est sans réticence aucune que j’ai tourné les pages, au contraire même, ça a fonctionné parfaitement, j’ai entendu, compris et partagé – à ma place de lectrice – la fascination et le mélange de réticences de l’auteur pour cet évènement, son contexte, ses racines et ses dramatiques retombées. Je trouve que le plus fort est là, d’avoir mis en lumière les personnages annexes, toutes les nombreuses personnes qui, par de très petites choses parfois, ont pris part à l’attentat et l’ont payé de leur vie. Avec la mise en page très aérée, les digressions innombrables et les excès (des qualificatifs parfois carrément haineux, souvent très dépréciatifs), le récit semble limpide, et quelques scènes marquent fortement l’esprit du lecteur. Par exemple, l’extermination de Lidice, basée sur un simple mot doux mal interprété, ou la renversante « prise » de la crypte (final impressionnant). J’ai beaucoup aimé parce que j’ai eu l’impression que l’auteur avait à coeur avant toute chose de partager, de rendre hommage, et qu’il nous livrait un travail totalement sincère et sans afféterie aucune. Prix Goncourt du premier roman 2010.

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