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Toni Morrison

Traduit par Christine Laférrière
10-18
octobre 2013
142 p.  6,10 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

du courage et de l’espoir

Frank Money porte très mal son nom : il n’a pas un sou. Enfant, il a vécu les persécutions du Ku Klux Klan, fui à pied le Texas pour la Géorgie avec son père et sa mère enceinte jusqu’aux dents ; il a connu la maltraitance, la mort précoce de parents encore esclaves un siècle après l’abolition de l’esclavage, les routes du Sud qui ne mènent nulle part et l’exclusion de la part des Blancs et des plus riches que lui. Revenu de l’enfer coréen, sa plaque de soldat cousue au revers de sa veste, Frank pensait avoir enfin gagné sa place dans la société. Erreur. L’expérience de la guerre l’a détruit et les Américains sont d’autant plus ingrats avec les anciens combattants quand ils sont Noirs. Échoué à Seattle, Frank tente de croire en l’avenir auprès de Lily, mais nul ne peut effacer les souvenirs qui le réveillent en sursaut. Un jour, il reçoit des nouvelles de Cee, la petite sœur qu’il a pour ainsi dire élevée, et dont il apprend que la vie est en danger. Car Cee a elle aussi dû payer la rançon de sa couleur de peau, auprès d’un médecin eugéniste qui a utilisé son corps comme celui d’une souris de laboratoire. Frank s’embarque alors dans un périple à travers l’Amérique de la ségrégation, des hôtels pour Noirs et des dépouillements policiers, pour retrouver sa sœur et redonner sens à une vie que la vie n’a peut-être pas tout fait brisée.

Mais n’attendez pas d’un Prix Nobel de Littérature qu’elle se contente de dénoncer l’atrocité. Les Hansel et Gretel de Toni Morrison ont du courage et de l’espoir. Ils ont connu l’horreur, cela ne les empêche pas de rechercher l’amour. Sur leurs chemins de croix, tout une ribambelle de personnages secondaires et indispensables : bons samaritains, initiateurs, amis, rebouteux de toute sorte. Parabole biblique des années 50, odyssée sudiste, conte de fées où les sorcières roulent en Ford, « Home » est le récit d’un retour chez soi : pas dans la dimension utopiste d’une terre promise, mais dans la perspective profondément humaniste d’une réconciliation avec soi-même. Les personnages de Morrison ont leur part d’ombre ; Franck transporte un lourd secret, mais il finit par trouver le moyen de faire les comptes avec ses péchés : en restituant leur humanité à ceux à qui elle a été si longtemps niée, et dont il fait partie. On pense à cette scène finale, bouleversante, dans laquelle Frank et sa sœur retournent sur les lieux d’un lynchage pour donner une sépulture à une poignée d’ossements abandonnés. Le très court roman de Toni Morrison irradie une lumière et une évidence qui rendent beaucoup de choses futiles, et  confirme le rôle déjà mondialement reconnu qu’occupe depuis cinquante ans son auteure : celui de la plus grande guérisseuse de l’âme américaine.

Romane Lafore

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coup de coeur nuit blanche

Sud des USA, années 50-60

En italique, les premières pages semblent sortir d’un cauchemar ; un être humain est enterré comme une bête dans un trou creusé dans un champ à la tombée du jour «Sans jamais lever la tête, juste en regardant à travers l’herbe, on les a vus tirer un corps d’une brouette et le balancer dans une fosse qui attendait déjà. Un pied dépassait du bord et tremblait, comme s’il pouvait sortir, comme si, en faisant un petit effort, il pouvait surgir de la terre qui se déversait.». Pourquoi ces pages ? Est-ce pour corroborer la mise en asile psychiatrique de Franck victime d’hallucinations ? Il me faudra attendre la fin du live que je saurai. Ces premières pages me feront appréhender d’une façon un peu différente le livre de Toni Morrison.

Balade et ballade américaines dans les années 1950. Balade qui n’a rien de romantique. Les nègres ont été « considérés » tant qu’ils servaient de chair à canons aux avant-postes. Ils sont peu nombreux à rentrer au pays, à avoir sauvé leur peau. Franck porte en lui ce sentiment de culpabilité qui fait qu’il n’ose retourner dans son village ; ses deux meilleurs potes sont restés en Corée, morts pour la patrie. Que lui réserve-t-on ? Une chambre en hôpital psychiatrique, assommé par les neuroleptiques. Quand il reçoit ce message, « Venez vite. Elle mourra si vous tardez » il décide de se sauver. Il tambourinera à la porte du presbytère de l’église épiscopale méthodiste africaine de Sion. A partir de ce moment, une chaîne humaine se met en branle qui lui permettra d’arriver jusqu’à sa petite sœur Cee. Les démons, les cauchemars sont là qui le hantent, annihilés par les bouteilles de whisky. Il trouvera la force d’aller au secours de sa sœur et trouver sa rédemption.

Nous découvrons la vie dure d’esclave des parents de Franck et Cee qui font qu’ils ne peuvent ou ne savent donner l’amour tant ils sont crevés. La grand-marâtre et sa haine les élève. Pauvre gamins, ils ont connu la haine bien jeune. Heureusement les deux enfants sont soudés et se soutiennent mutuellement.

Il y a des moments très durs dans ce livre « Mais avant cela, avant la mort de ses gars, il avait été témoin de l’autre. Celle de l’enfant venue fouiller dans les ordures, agrippant une orange, qui avait souri, puis dit « miam-miam » avant que le soldat ne lui fasse sauter la cervelle ». Plus tard, Franck nous éclairera et c’est encore plus douloureux.

Pas beaucoup de bonheur à quoi se raccrocher. Il y a les femmes, Franck en parle avec tant de douceur «… je n’ai eu que deux régulières. J’aimais bien la petite chose fragile à l’intérieur de chacune d’elles. » Ou « Elle avait quelque chose qui m’a stupéfait, qui m’a donné envie d’être assez bien pour elle »

La trame est simple, mais la vie des noirs dans les années 50-60 ne l’était pas. Ce bouquin est d’une grand densité, pas de remplissage inutile, elle va droit au but. Pas de grandes descriptions, et pourtant tout est dit. La restitution du sud des USA de cette époque est là devant nos yeux. Les humiliations, la peur, la haine raciale, oui, tout est là.

C’est le premier Toni Morrison que je lis, grâce aux avis de mes copinautes. C’est un vrai coup de cœur. Je pense que je vais remonter le courant de ses livres et découvrir ces ouvrages précédents. 

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