La dernière fugitive
Tracy Chevalier

traduit par Anouk Neuhoff
Folio
octobre 2013
400 p.  8,50 €
ebook avec DRM 7,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Fugue et dignité

Treize ans après « La Jeune Fille à la perle », dont le succès en librairie s’est vu confirmé par une adaptation cinématographique multi-récompensée, Tracy Chevalier récidive et prend le risque de cataloguer sa carrière d’écrivain dans un genre aussi mésestimé que périlleux : le portrait de femme. Périlleux sauf quand on y excelle, et que l’on ne se contente pas d’une intrigue linéaire lestée de tous les malheurs du monde, d’interminables soupirs et de luttes acharnées dont la belle victime sort au bout du compte, et comme par enchantement, grandie. Certes, « La Dernière Fugitive » se nourrit de certains de ces ingrédients, qui participent indéniablement au plaisir de la lecture, mais il s’appuie également sur la virtuosité de son auteure pour reconstituer les paysages et les mœurs de l’Ohio de la seconde moitié du XIXème siècle.

C’est une aube nouvelle qui se lève pour Honor Bright lorsqu’elle atteint avec sa sœur Grace les rives du Nouveau Monde. Mais à peine a-t-elle posé le pied sur le sol américain que rien ne se passe comme prévu : Grace, qui devait rejoindre son fiancé, un Quaker installé dans l’Ohio, meurt de la fièvre jaune, et Honor parvient seule jusqu’à sa belle-famille qui lui réserve un accueil dénué de toute chaleur. L’Amérique rêvée est loin et la vie aride sur ces terres inhospitalières, peuplées de colons tout aussi rudes, traversées par des esclaves Noirs fuyant les plantations du Sud pour gagner le Canada. Ebranlée par sa rencontre avec Donovan, un chasseur d’esclaves violent et imprévisible, Honor se réfugie pour ne pas perdre pied dans les tâches quotidiennes de la vie domestique et dans l’élaboration de quilts, un art que toute jeune Quaker comme elle se doit de maîtriser. Mais la découverte d’un réseau clandestin d’esclaves en fuite vient remettre en cause ce fragile équilibre. Pour ne pas déroger aux valeurs qui sont les siennes, Honor se marginalise dans une communauté prompte aux bavardages et se retrouve face à un dilemme : choisira-t-elle d’aider ces fugitifs comme l’exige la doctrine quaker, au risque de devenir hors-la-loi, ou se soumettra-t-elle, comme sa belle-famille, aux lois inhumaines que font régner les chasseurs d’esclaves dans la communauté ?
Comme les pièces de tissu qu’Honor assemble sur ses quilts, le récit progresse pas à pas, le temps d’installer ses protagonistes dans un environnement bientôt familier pour le lecteur, avant de trouver un second souffle lorsque son héroïne, d’abord timorée et discrète, décide de prendre son destin en main. D’un classicisme assumé, l’écriture de Tracy Chevalier dépeint avec sensibilité l’existence de plusieurs communautés, celle des Quakers, celle des esclaves et des colons, sur un territoire à la géographie mouvante, façonné par ses migrants et par des routes qui s’étirent à perte de vue, et se croisent parfois.

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