La garçonnière
Hélène Grémillon

Folio
septembre 2013
400 p.  8 €
ebook avec DRM 7,49 €
 
 
 
 Les internautes l'ont lu

Un maillage habile pour un roman haletant

Le temps n’efface jamais un passé trouble. L’être humain garde en lui des marques, son corps en conserve la mémoire, son esprit en rejette les réminescences. On ne peut rien y faire, c’est ainsi. Mais la parole serait libératrice de bien des maux ; dire sa souffrance, la partager, délester son fardeau.
Vittorio Puig est psychiatre, il écoute d’une oreille attentive les mots de ses patients et tente de décrypter l’indicible. Dans son cabinet défilent des hommes et des femmes au passé tourmenté, ayant pour la plupart été confrontés aux horreurs de la junte. Nous sommes à Buenos Aires en Argentine, en 1987. Onze ans après le coup d’état.
Aujourd’hui, celui qui écoute n’est pas entendu. Il a beau clamer son innocence, tout l’accuse : sa femme Lisandra vient d’être retrouvée morte sur le bitume au pied de son immeuble. Défenestrée. Aux dires des voisins, le couple se disputaient souvent. Vittorio fait un parfait coupable.
Eva-Maria, une de ses patientes ne croit pas à sa culpabilité. Elle se rend au parloir et les rôles s’ inversent, Eva-Maria interroge Vittorio. Elle va mener une enquête parallèle, retranscrivant notamment les cassettes contenant les dernières paroles des patients. Si elle commence ses investigations avec détermination, elle va vite être submergée par l’émotion en levant le voile sur les entretiens d’Alicia, de Felipe et de Miguel. Elle-même ne s’est jamais remise de la disparition de sa fille, enlevée par la junte. L’alcool l’aide à survivre. Son mari l’a quittée, la laissant élever seule Esteban leur fils. Un fils, devenu transparent à ses yeux.
Le vieillissement de sa peau, l’incapacité à procréer angoissent terriblement Alicia. Elle envie et jalouse la beauté et la jeunesse des filles…
Alors que Felipe vient voir Vittorio, craignant que sa femme le quitte, il se révèle être un ancien tortionnaire de la junte, ayant participé également à l’enlèvement de bébés…
Quant à Miguel, un grand pianiste, il expose avec un réalisme terrifiant les tortures qu’il a subies et la mort de sa femme, évoquant en filigrane la présence non négligeable de psychiatres auprès de la junte…
Avec vivacité et intensité, l’auteure mêle les petites histoires à la grande Histoire, l’intime à l’universel, le quotidien à l’accidentel. La construction narrative est changeante, la lumière se fait puis se défait, le doute s’insinue d’un personnage à l’autre. Un drame conjugal encadre une enquête qui elle-même contient des nouvelles (les trois enregistrements), agrémenté par l’intervention de personnages extérieurs comme le vieux professeur de tango de Lisandra, le propriétaire d’un magasin de jouets, des amants, des maîtresses… Puis la voix de Lisandra résonne, claire et forte. Elle aura le dernier mot. Et au-dessus de ces trames plane l’ombre de la jalousie.
La tension monte crescendo au fil des pages jusqu’au final, effroyable. Le tissage si singulier du roman n’est à aucun moment confus. Chaque point de vue amène sa part d’éclaircissement. Ancrées dans une époque et dans un lieu, les récits de tous trouvent naturellement leur place et leur évidence. Un maillage habile pour un thriller haletant.

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