La grâce des brigands
Véronique Ovaldé

Point Seuil
août 2013
284 p.  6,90 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

La force des filles

A la page 272 du dernier roman de Véronique Ovaldé, un homme sort en boitillant de la vie d’une femme.

« En boitillant ». C’est ce qu’elle a écrit.

Laissons-nous quelques secondes porter par cette image.

Cet homme avait cru, naïvement, que pour toute la vie cette femme-là l’admirerait, lui servirait de faire-valoir, de miroir déformant lui renvoyant une image sublimée de lui-même, faux héros qui se rêvait invincible. Mais c’est comme ça, dans les romans d’Ovaldé. Un jour les jeunes filles égarées prennent leur vie en main et les vieux matadors se retrouvent KO debout. Ils n’ont plus qu’à quitter la scène en boitillant, parce que la jeune fille devenue femme leur préfère un homme plus discret, plus silencieux, de ceux qui savent attendre leur heure et pensent aux autres avant de penser à eux-mêmes.

Livre après livre, Véronique Ovaldé peaufine ainsi son propos.

« La grâce des brigands » (et Ovaldé mériterait aussi un prix pour l’originalité de chacun de ses titres, « La grâce des brigands » arrivant après « Et mon cœur transparent », « Ce que je sais de Vera Candida » ou encore « Des vies d’oiseaux », textes souvent couronnés de nombreux prix dont celui des lectrices de ELLE et le Renaudot des lycéens) met en scène Maria Cristina, écrivain qui mène la belle vie à Santa Monica. Un jour, sa mère lui téléphone depuis le Grand Nord familial. Il faut qu’elle rentre pour s’occuper de son neveu. Alors toute l’histoire de Maria Cristina remonte à la surface.

Il y a le père, descendant d’immigrés partis de Finlande pour s’installer dans le Nunavut, et dont même ses filles ne sauront au fond pas grand-chose, il y a la mère chrétienne fondamentaliste, la sœur mal aimée et la petite ville de Lapérouse dont il faut s’enfuir. Il y a l’arrivée à Santa Monica, l’amie Joanna et la nouvelle vie, Rafael Claramunt l’écrivain nobelisable. Et Maria Cristina qui écrit, voyage, vit.

Les noms, de Lapérouse à Claramunt, noms de lieux ou noms de gens, ont de quoi surprendre. Véronique Ovaldé construit ici une mythologie personnelle, s’affranchissant de la réalité et de la logique, des habitudes et des préjugés, pour nous porter, nous emporter, nous surprendre. Et il en faut du talent pour créer une géographie purement littéraire, entièrement imaginée mais totalement crédible, faire de sensations, d’images, d’intuition.

Et dans ce qui, pour un lecteur superficiel, pourrait apparaitre comme un charmant conte plein d’humour, on découvre en fait un travail infiniment subtil qui croise plusieurs thématiques, entre autres celle de la violence faite aux femmes. Et les femmes, chez Ovaldé, sont de livre en livre semblables et différentes. L’auteur de « Les hommes en général me plaisent beaucoup » (là encore, quel titre !) met toujours en scène des héroïnes qui sont jetées dans la vie un peu malgré elles et qui, par leur opiniâtreté, leur envie de liberté non formulée mais viscérale, vont s’affranchir et s’accomplir, au grand dam des hommes qui les entourent et se trouvaient très bons dans le rôle du pygmalion, du protecteur, du mentor. Ces jeunes femmes sont autant de figures d’indépendance, à qui rien n’est donné mais qui se débrouillent, se réalisent, s’en sortent. Des jeunes femmes d’aujourd’hui.

« La grâce des brigands » est peut-être le plus complexe des romans de Véronique Ovaldé, qui reprend des thèmes abordés dans ses textes précédents en les approfondissant. Ainsi la transmission, le passé familial, la maternité, le mystère des origines et la place des pères dans la vie des filles, tous traités ici avec une grande liberté. Celle d’une romancière désormais totalement accomplie.

Lire notre entretien « Quelle lectrice êtes-vous
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coup de coeur

J’ai découvert Véronique Ovaldé grâce à son magnifique roman « Ce que je sais de Vera Candida ». Le roman suivant « Des vies d’oiseaux » ne m’avait pas inspiré. Véronique Ovaldé publie, en cette rentrée littéraire, « La grâce des brigands » qui est, pour moi, une belle surprise. En effet, ce récit, très enjoué, est un vrai plaisir de lecture; accessible comme son auteure. Véronique Ovaldé nous raconte, cette fois, l’histoire de Marie Cristina Väätonen issue d’une famille du grand nord; une famille aussi crasseuse que la couleur rose de leur maison. L’histoire commence dans les années 70 et se prolonge dans les années 90. Marie Cristina quitte la bourgade canadienne à 16 ans pour s’installer sous le soleil de Los Angeles où elle débute sa carrière d’écrivain à succès. Elle y rencontre Rafael Claramunt dont elle tombe amoureuse pour le meilleur et pour le pire. Il est question, ici, de drame familial, de fuite, d’amour, de trahison et de liberté. Véronique Ovaldé dresse, comme à son habitude, un décor onirique où évoluent des personnages farfelus. Son univers est résolument féminin. L’auteure oscille constamment entre le drame et le loufoque avec une bonne dose d’humour, de sexe et de poésie. Elle évoque également la place de l’écriture comme un remède; un moyen d’échapper à une famille étouffante. J’ai particulièrement aimé le rythme du livre et sa singulière atmosphère. Très bon moment de lecture.

Retrouvez sophie marie Dumont sur son blog

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