La lumière des étoiles mortes
John Banville

Traduit par Michèle Albaret-Maatsch
10
pavillons
août 2014
333 p.  7,80 €
 
 
 
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coup de coeur

L’insaisissable mémoire et son reflet déformant

On dit qu’une étoile continue de briller après sa mort. Sur terre, à des années-lumière d’elle, l’humain qui contemple son éclat ne s’imagine pas que son regard le trahit. Sa perception visuelle, malgré sa netteté, n’est pas réelle. La réalité est faussée. Quand on regarde les étoiles, c’est le passé qui surgit.
Alex, un comédien de théâtre vieillissant, vient de recevoir une proposition cinématographique ; le rôle principal dans un film, ayant pour titre L’invention du passé, retraçant la vie d’un certain Axel Vander, un homme de lettres, professeur et critique, souvent sujet à contreverses. Qu’on fasse appel à lui pour ce rôle l’étonne et l’intrigue beaucoup (étant quasiment en retraite) mais un tel projet ne se refusant pas, il se lance dans l’aventure, le cerveau en ébullition. Il aura comme partenaire féminine la grande Dawn Davenport réputée pour sa sensibilité à fleur de peau.
Voilà que différentes périodes de son passé remontent à la surface et se télescopent parfois violemment. Dawn lui rappelle sa fille Cass, décédée dix ans auparavant, suicidée – à Portovenere en Italie, lieu où vivait justement Axel Vander… – . Une mort qui l’avait attéré. La dépression avait eu raison de son incompréhension. Aujourd’hui, il aimerait enfin comprendre ce geste. Et puis il y a Lydia, sa femme… qui, comme lui, ne s’est jamais remise du départ de Cass. Chacun porte en lui ses propres souffrances. Si le même toit les abrite encore, le couple s’est éloigné. Une atmosphère froide, austère et pesante s’est installée entre eux.
Un souvenir de cinquante ans va alors resurgir ; il avait quinze ans, vivait avec sa mère dans une petite maison qui servait de pension de famille. Une mère plutôt distante, pas très affectueuse. Son existence jusqu’ici terne et sinistre subit alors un grand bouleversement à cause de – ou grâce à – sa rencontre avec Mrs Gray, la mère de son copain de classe. Un cataclysme sensoriel. Un raz de marée émotionnel. Un éblouissement visuel. L’adolescent qu’il est alors va découvrir l’amour, l’exacerbation des sens, l’érotisme, la sexualité, la douceur des caresses, l’énigmatique et envoûtant corps de la femme. Une liaison secrète naît. Du printemps à fin de l’été, ils vont s’aimer, cachés dans une bicoque au milieu de la forêt… Puis ce sera l’attente, le déchirement, le scandale…
Mais, peut-on faire confiance à la mémoire ? L’imagination n’est-elle pas plus forte ? La reconstitution du passé ne passe-t-elle pas forcément par une part d’invention ? Les souvenirs ne sont-ils pas peuplés de chimères, altérés et modifiés par le temps ? Portés par notre rêverie, par un idéal, par la poésie, ne nous arrangeons-nous pas quelque peu avec la réalité ?
Avec la verve poétique de l’auteur, sa manière complice de s’adresser au lecteur, son habileté à enchevêtrer les histoires et à planter le décor, nous sommes littéralement happés par ce qu’il nous raconte. On est au côté d’Alex, dans son esprit. On suit son cheminement, on guette ses réminescences. On tente de faire la lumière, nous aussi. Un roman sur l’insaisissable mémoire et son reflet déformant, un roman sensuel et troublant, un grand roman.
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