La maison des chagrins
Victor Del Arbol

Traduit par Claude Bleton
Actes Sud Editions
Actes noirs
septembre 2013
460 p.  9,90 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Noir, c’est noir

Que de noirceur dans le nouveau roman de Victor del Arbol. Comme son précédent ouvrage, le très remarqué mais terrible « Tristesse du Samouraï », ce ne sont qu’êtres cabossés, murés dans leur tragédie personnelle.

La célèbre violoniste, Gloria A. Tagger, prend contact avec Eduardo Quitana, peintre à la dérive depuis que sa femme et sa fille ont été tuées dans un accident de voiture.  Eduardo a purgé quatorze ans de prison pour avoir supprimé l’homme qui lui a ravi sa famille. La musicienne lui fait une demande singulière : réaliser le portrait de l’individu qui, 4 ans plus tôt, a écrasé son fils, Ian, un adolescent dans la fleur de l’âge. Mais ce que ne mesurent ni Gloria ni Eduardo c’est que cette commande va rallumer des drames éteints et les mener aux portes de l’enfer.

Vont se croiser dans une toile implacablement tissée : un requin de la finance, un androgyne qui se prostitue, un tortionnaire chilien reconverti en détective privé, un ancien combattant du FLN, un adolescent dépravé, un antiquaire pédophile, une jeune fille abusée, des femmes violées… Aucun d’eux n’échappera à son sort car comme le déclare un des protagonistes : « Personne ne s’affranchit des actes commis. »

L’intrigue est menée de main de maître, les indices sont distillés au compte-gouttes et tel un puzzle, la trame prend sens. C’est intelligent, parfaitement réussi mais que de perversion dans ces 416 pages. On viole, on torture, on mutile, on dégrade, on assassine à tours de bras.  Complaisance de l’auteur ou conséquence de ses années passées au sein des services de police de Catalogne ? Quoiqu’il en soit, on n’a qu’une envie en refermant « La maison des tristesses », se laver de toute cette fange.

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nuit blanche

Les blessures vivent

« Evoquer le passé et le rattacher au présent pouvait être aussi épuisant qu’explorer un labyrinthe dont on ne connaîtrait qu’une partie. »

Pour parler de la Maison des chagrins, c’est d’abord un propos de Goethe qui me revient. Un propos où il s’étonne et se félicite – à propos de Jacques le fataliste de Diderot – d’être capable d’engloutir une telle portion d’un seul coup. C’est bien ce que l’on peut ressentir après avoir dévoré ces presque 500 pages en quelques heures. C’est qu’il ne sont pas si fréquents les récits et les livres qui vous attrapent et ne vous laisse plus de répit avant la dernière page, voire au delà. Ce fut le cas pour moi avec La tristesse du Samouraï, cela a de nouveau été le cas avec cette Maison des chagrins.

Il y a quelque chose de désespérant et de vertigineux dans les récits multiples qui se croisent et se lient inextricablement au fil des chapitres. Le titre original insiste sur la blessure que chacun porte et avec laquelle il vit. Blessure par laquelle chacun vit, continue de vivre ou de survivre. Des blessures morales qui sont aussi des blessures physiques qui ont marqué profondément les corps : genou et main mutilée, visage défiguré par une cicatrice, stérilité… La vie ne laisse personne indemne : accidents, guerres (l’Algérie), dictature (Pinochet et Franco), amours trahis, mais aussi le hasard… ont fait dans les vies de chacun des nœuds impossibles à défaire. Des nœuds dont ils n’est pas sûr que la mort même puisse les trancher.

Dès les premières pages nous voilà embarqués dans un labyrinthe où l’on sent confusément que rien n’est vraiment ce qui semble, que chacun cache quelque chose d’inavouable, pour soi-même comme pour les autres. A tout moment l’on devine ou cherche à deviner ce qu’il y a derrière. Avec maestria l’auteur nous laisse entendre quelques échos, quelques silences, au détour d’une phrase, d’un mot… comme des ombres devinées dans un brouillard fuyant.

On pourrait être tenté de résumer, ou au moins de décrire des ébauches de situations ou de personnage. Mais il ne vaut peut-être mieux pas. Peut-être que La Maison des chagrins fait partie de ces livres dont il ne faut surtout pas raconter l’histoire aux futurs lecteurs pour ne pas le trahir et affaiblir leurs émotions de lecteurs. L’éditeur aurait peut-être même dû ajouter un bandeau interdisant le récit – un peu comme Hitchcock le fit avec Psychose – pour permettre aux lecteurs de se retrouver dans la situation de certain des protagonistes : irrémédiablement pris dans une réalité qui leur échappe, qu’ils l’acceptent ou pas, et bien obligés de faire avec, quel qu’en soit le prix.

Il y a de la noirceur en chacun de ces personnages, la plus noire n’étant bien bien sûr ni la plus évidente ni la plus sombre et nous, lecteurs, sommes un peu comme Guzmán, mû par une curiosité perverse sur le comportement difforme des êtres humains. Une difformité due aux blessures qui maintiennent en vie et dont la guérison peut être fatale. Comme dans les tragédies antiques, échapper au destin, que l’on y croit ou pas, est un rêve fou qui se paye au prix fort.

Au départ un banal et tragique accident de voiture et la volonté de comprendre, sinon de réparer. Et puis, une fois qu’un fil est tiré, qu’une porte est ouverte, on ne peut plus rien arrêter de ce qui a commencé bien avant et ne se finira que quand l’heure sera venue. Les mots qu’on aurait pu dire, qu’on auraient dû dire ou taire, auraient-ils eu le pouvoir d’arrêter les chose, de modifier leur cours ? Nous sommes avertis dès le prologue : On a toujours quelque chose à dire quand il n’est plus le temps de le dire. Il ne reste alors plus qu’à agir. Pour le meilleur ou pour le pire. Presque toujours pour le pire.

PS : le titre français est tiré d’une des phrases du récit. Il a une certaine beauté et lors d’une rencontre, l’auteur nous a dit ne pas le désavouer. On peut tout de même préférer le titre original : Respirar por la herida (Respirer par la blessure). En tout cas, merci pour au traducteur Claude Bleton qui permet aux non-hispanophones ou aux hispanophones approximatifs (dont je suis) de pouvoir se plonger dans de tels univers.

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